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totale d’un charlatanisme trop souvent employé par les hommes que leur talent a tirés de la foule.

Dans sa biographie de Ben Johnson il déploie beaucoup de talent, une érudition rare, une sagacité peu commune, et un tact qui appartient à peu de critiques. Nous reprocherons à cet ouvrage le ton de controverse qui le dépare. Selon nous, c’est moins une biographie qu’un plaidoyer. Tous ceux qui ont attaqué son héros, Gifford les attaque à son tour avec une violence qui peut passer pour de la fureur. Il renverse tout ce qui se trouve sur sa route ; il cherche, souvent inutilement, à repousser les imputations auxquelles la mémoire de Ben Johnson a été en butte. Quoi qu’il en soit, la réputation de Gifford, comme écrivain énergique, facile, sarcastique et savant, est solidement établie.


Je me sens incapable de rendre au lecteur un compte exact des travaux biographiques de William Godwin[1]. Sa Vie de Marie Wolstonecroft est courte et dit beaucoup ; sa Vie de Chaucer est longue et ne dit presque rien. Peut-être se repent-il aujourd’hui d’avoir retracé avec tant de fidélité et de détail le portrait en pied de sa femme, Marie Wolstonecroft, philosophe en jupons, si faible et si forte à la fois. C’est un tableau de Rembrandt : des sillons de lumière au milieu d’un océan de ténèbres.

La Vie de Chaucer est un roman : conjectures sur conjectures, rêves sur rêves, théories sur théories ; de l’érudition en abondance, un sentiment profond du talent du poète, mais une immense quantité de pages inutiles, une cuillerée de vérité dans un océan de fictions. Tout ce que nous savons de certain, c’est que le père de la poésie anglaise, contemporain d’Édouard iii, a écrit quelques poèmes inimitables et est mort en Angleterre. Aucuns vont jusqu’à dire qu’il a battu un jour, dans Fleet-Street, un moine des ordres mendians. Sa biographie s’arrête là. Il ne fallait pas écrire quatre volumes pour nous donner ces détails.


Malcolm Laing, au lieu de se faire le cornac et l’apologiste de son héros, n’a écrit la biographie de Macpherson que pour le déprécier. D’autres attachent le laurier sacré sur le front de l’homme dont ils retra-

  1. Godwin nous semble généralement traité par M. Allan Cunningham avec une sévérité et une négligence qui approchent de l’injustice. Ce grand écrivain s’est efforcé, dans sa Vie de Chaucer, de grouper autour du poète tous les évènemens de son époque. C’est moins Chaucer lui-même que son siècle qu’il retrace. Il cherche dans ses œuvres et dans les événemens de son temps les couleurs propres à faire connaître l’état de civilisation qui régnait alors. On n’a pas fait d’étude plus correcte, plus détaillée, sur un sujet difficile et mal compris.