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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

excès : il faut croire au bon sens du peuple et au bon vouloir de Dieu.

Parmi les publications qui ont pour but immédiat l’instruction de la foule, les meilleures, à notre sens, sont celles qui éveillent les facultés de l’esprit sans prétendre leur imprimer sur-le-champ une direction particulière. Socrate se vantait de posséder, avec sa méthode, l’art de faire accoucher les gens ; l’instruction, à quelque degré qu’on la donne, ne saurait avoir ni d’autre mission ni d’autre résultat. Or, pour frapper avec une justesse vigoureuse les esprits du peuple et de l’enfance, il n’y a rien de meilleur que ce qui est imagé, pittoresque : les images provoquent les idées ; aimables interprètes de la pensée, elles prêtent des formes et des couleurs à ce qui est abstrait et rationnel ; elles animent et représentent la vérité ; car l’imagination n’est pas seulement une enchanteresse, mais une personne fort raisonnable. Montaigne, dans un moment d’humeur, a pu la nommer la folle du logis ; prenez le mot pour une saillie, mais non pas pour une vérité. Sans doute, l’imagination peut devenir folle ; mais cette folie même où elle s’égare suppose le bon sens dont elle aura dévié. Qui eut l’esprit plus juste que Bacon ? Qui l’eut mieux garni de grandes images ? L’imagination n’habite pas la terre pour faire schisme avec l’intelligence, mais pour lui dresser des temples. Voyez le peuple dans nos musées, devant les œuvres de nos artistes : l’image et l’imagination le conduisent à la pensée : les impressions de l’art sont pour lui comme un fil précieux qui doit le mener devant une vérité qu’il n’avait pas encore vue ; et dans son ingénuité pleine de profondeur, il s’élève sans le savoir au-dessus de ces poétiques étranges qui séparent la cause du beau de celle du vrai. C’est donc chose sagement faite que d’appeler l’imagination à l’enseignement du peuple. Il y a un an parut la première livraison d’un Magasin pittoresque (9 février 1833). On le considéra, dès les premiers jours, comme une inutilité presque bizarre ; il compte aujourd’hui soixante mille souscripteurs, Le jeune écrivain, plein d’imagination et d’ame, qui le dirige, M. Charton, n’a pas à regretter d’avoir mis pour quelque temps la délicatesse de son talent au service de l’instruction populaire.

Mais voici quelque chose de plus sérieux et de plus considérable, une Encyclopédie pittoresque, une Encyclopédie à deux sous. Je