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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

facile, agréable, on la voit s’insinuer dans tous les esprits, dans les plus tendres comme dans les plus rebelles ;

Dono Divûm, gratissima serpit.

C’est un bienfait de la Providence, que cette popularité toujours croissante de la science après une révolution populaire : il y a là un enchaînement de causes et d’effets qu’il importe de saisir et de comprendre.

C’est avec la somme des idées accumulées pendant trois siècles que nous avons acheté et payé notre émancipation politique en 1789. Les travaux législatifs de la Constituante sont proprement la traduction politique des idées acquises jusqu’alors et suffisamment élaborées ; quand on voulut les outrepasser, quand, par des élans d’enthousiasme et d’abstraction, on déborda l’état philosophique et politique de 1791, on s’égara : pourquoi ? Parce que la provision des idées claires et justes étant épuisée, il fallait en attendre d’autres avant de provoquer de nouveaux changemens, et faire, non pas de nouvelles constitutions, mais de nouvelles études. Mais les choses se passèrent autrement. Non-seulement les représentans de la démocratie improvisèrent des théories extrêmes sans préparation suffisante ; mais au moment même où la vie politique et républicaine, s’élargissant toujours, rendait de plus en plus urgente l’instruction populaire, car le droit se mesure sur l’intelligence, cette instruction populaire s’arrêta tout à coup. Nous avions l’Europe sur les bras, et nous dûmes la secouer violemment. En vain la Convention avait pris des mesures pour que, dans le plus court délai possible, tout Français sût lire ; le champ de bataille ravissait la jeunesse, même l’enfance, aux écoles, et nos tambours purent devenir maréchaux sans avoir trouvé le temps d’apprendre la grammaire. L’empire se soucia peu de propager l’instruction ; Napoléon estimait que ses grenadiers n’avaient besoin que de lire dans les yeux de leur empereur. La restauration comprimait l’essor des esprits populaires ; à son avis, des sujets et des chrétiens[1] en savaient toujours assez : mais aujourd’hui, qui mettra des obstacles et des bornes à l’intelligence du citoyen et de l’homme ?

  1. On comprend dans quel sens est ici pris le mot chrétiens.