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croire qu’il marchait d’un autre pas que ses devanciers ? Sans doute Michel-Ange domine Ghiberti ; mais Ghiberti, venu le dernier, eut peut-être été Michel-Ange.

J’ai dit que l’auteur de Moïse occupe dans la sculpture moderne le même rang que Phidias dans l’art antique. Tous deux en effet ont eu le bonheur singulier de résumer sous une forme idéale et complète les études ébauchées avant leur venue. Il y a vingt-deux siècles, la veille du jour où naquit Phidias, Égine, Argos et Sicyone avaient des écoles célèbres, et ces écoles avaient préparé le Parthenon. Au temps de Phidias, comme au temps de Michel Ange, l’imagination humaine attendait un génie prédestiné. Ageladas et Polyclète avaient joué le rôle de Luca et de Ghiberti ; la sculpture éginetique a frayé la route à la sculpture athénienne, comme les portes du baptistère de Florence au mausolée de Jules ii.

Parmi les œuvres de Phidias, le Jupiter olympien, qui a péri dans les désastres du Bas-Empire, sans doute au commencement du xiiie siècle, mais dont Rome possède une copie admirable, présente avec le Moïse plusieurs points de comparaison. Phidias s’est inspiré d’Isomère, comme Michel-Ange s’est inspiré de la Bible. Tous deux ont voulu produire, sous une forme achevée, la plus haute puissance de la pensée. Le dieu grec et le prophète hébreu, sortis de l’ivoire et du marbre, exprimaient un même dessein, une idée commune, le génie calme et contenu.

Mais Phidias procède par une méthode plus absolue et moins savante ; il s’en tient aux plans généraux, aux grandes divisions du masque humain. Il possède admirablement la topographie du visage ; il la pétrit puissamment, il la fait sienne ; il la métamorphose et l’idéalise ; il l’ennoblit et l’élève ; il corrige et supprime toutes les réalités pauvres et mesquines ; il efface, il creuse librement ; en fouillant l’homme, il trouve Dieu.

Michel-Ange est plus savant. Son prophète, qui n’est que l’interlocuteur de la Divinité, est une œuvre plus difficile et plus dispendieuse pour son courage que le Jupiter de Phidias. Michel-Ange a vu les muscles du visage, il a étudié le mécanisme et le secret des rides et des plis que Phidias avait aperçus, mais qu’il