Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/263

Cette page a été validée par deux contributeurs.
259
HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

puis, qui nous assure que cette explication appartient en propre à Michel-Ange ? Ce qui frappe tous les esprits sérieux dans ce poème de marbre tel que nous venons de l’esquisser, c’est le symbole éclatant de l’église militante. Des prophètes et des victoires ! voilà ce que Michel-Ange avait trouvé de mieux pour éterniser la mémoire de Jules ii. Pourquoi des sibylles à côté des prophètes ? Pourquoi cette confusion adultère des traditions païennes et du génie chrétien ? Pourquoi ? C’est que l’enthousiasme du siècle pour l’antiquité était tiède encore d’une découverte récente, c’est que Michel-Ange était né vingt-un ans seulement après la prise de Constantinople, c’est que les Grecs fugitifs avaient apporté dans l’Italie catholique leurs dieux, leur langage et leurs rêveries. C’est qu’il y avait à Florence une école de néoplatonisme qui recommençait les mystiques enseignemens d’Alexandrie. Quand les convives des Medici commentaient le Phédon, les sibylles et les prophètes n’exprimaient qu’une même pensée, la sagesse prévoyante. Pour les hôtes érudits de Laurent-le-Magnifique, la loi chrétienne était une transformation morale de la philosophie antique, plus pure, plus exquise, plus applicable, mais d’une vérité à peu près équivalente.

Les mausolées de la famille Médici ont eu le même sort que le tombeau de Jules ii. Dans le projet primitif, la chapelle sépulcrale devait recevoir quatre monumens. On n’en voit que deux à Florence. Mais au moins les deux que nous avons sont achevés en entier de la main de Michel-Ange. Au bas de la statue de Julien on voit les figures allégoriques de la Nuit et du Jour, et au pied de celle de Laurent le Crépuscule et l’Aurore. À ce propos la critique n’a pas été avare de chicanes et de controverses. Elle s’est demandé comment le marbre pouvait figurer de pareilles allégories. Et en effet il faut un peu de complaisance pour deviner la pensée de l’auteur, si toutefois une pareille pensée lui est jamais venue, ce qui me semble au moins improbable. Les figures sont très belles, voilà ce qui est constant. La Nuit n’est pas difficile à reconnaître, si tant est que ce soit la Nuit, au sommeil qui incline sa tête, et à l’oiseau placé sous la cuisse gauche. Le Jour, avec son attitude vigoureuse et calme, peut signifier le repos du laboureur sous le soleil de midi. Le Crépuscule a revêtu les traits d’un homme de cinquante ans, dont les forces ne s’éteignent pas encore,