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REVUE. — CHRONIQUE.

suivi me persuada qu’avec le seul appui de son interprétation, ce ne serait pas une entreprise aussi aisée que je l’avais supposé d’abord, que d’acquérir la connaissance de la langue dans laquelle était écrit le Zend Avesta ; et je reconnus bientôt que la traduction d’Anquetil était loin d’être aussi rigoureusement exacte qu’on l’avait cru ; et cela d’autant plus facilement, que l’auteur, en déposant à la Bibliothèque du Roi les textes originaux, avait lui-même livré à la critique les moyens de la juger. Mais, si cette épreuve fut peu favorable à la traduction du Zend Avesta, je dois me hâter d’affirmer qu’elle ne diminua en aucune façon ma confiance dans la probité littéraire de l’auteur. En donnant au public une version que tout l’autorisait à croire fidèle, Anquetil a pu se tromper, mais il n’a certainement voulu tromper personne ; il croyait à l’exactitude de sa traduction, parce qu’il avait foi dans la science des Parses qui la lui avaient dictée. Au moment où il la publiait, les moyens de vérifier les assertions des Mobeds, ses maîtres, étaient aussi rares que difficiles à rassembler. L’étude du sanscrit commençait à peine, celle de la philologie comparative n’existait pas encore ; de sorte que, quand même Anquetil, à la vue des obscurités et des incohérences qui restaient dans l’interprétation des Parses, eût éprouvé un sentiment de défiance que, nous osons le dire, rien ne devait éveiller en lui, il n’eût pu aisément discuter leur témoignage avec quelque espoir d’en découvrir la fausseté. Il n’est donc pas responsable des imperfections de son ouvrage ; la faute en est à ses maîtres, qui lui enseignaient ce qu’ils ne savaient pas assez, circonstance d’autant plus fâcheuse qu’il lui était impossible de s’adresser à d’autres qu’à eux. Ses erreurs sont du genre de celles qui sont inévitables dans un premier travail sur une matière aussi difficile ; et lors même qu’elles seraient plus nombreuses, lors même qu’il devrait subsister peu de chose de sa traduction, et que ce qui devrait en subsister aurait besoin d’être vérifié de nouveau, il resterait encore à Anquetil-Duperron le mérite d’avoir osé commencer une aussi grande entreprise, et d’avoir donné à ses successeurs le moyen de relever quelques-unes de ses fautes. C’est d’ordinaire la seule gloire que conserve celui qui explore le premier une science nouvelle ; mais cette gloire est immense, et elle doit être d’autant moins contestée par celui qui vient le second, que lui-même n’aura vraisemblablement aux yeux de ceux qui plus tard s’occuperont du même sujet, que le seul mérite de les avoir précédés. »

Le beau travail dont M. Burnouf enrichit aujourd’hui l’érudition française affermira de plus en plus la haute réputation dont l’auteur jouit en Allemagne, et trouvera des juges compétens auxquels il faut renvoyer son livre, tels qu’Éwald à Goettingue, et Bopp à Berlin. C’est surtout au professeur de Berlin qu’il appartient d’examiner le travail de M. Burnouf avec la même attention que ce dernier vient d’apporter à l’analyse de sa Grammaire Comparative[1]. MM. Bopp et Eu-

  1. Voyez le Journal des savans.