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inutile aux plaisirs du duc d’Orléans, ne serait-il pas juste de la rendre aux pauvres contribuables qui l’ont fournie avec tant de peine ?


MM. Grégoire et Collombet viennent de donner une traduction des Oeuvres de Salvien [1], prêtre chrétien du ve siècle, né à Cologne, et qui vécut dans le midi de la France, à Lérins et puis à Marseille. Salvien est un des plus éloquens témoins de cette période qui s’abîma dans l’invasion des barbares ; il la peint avec des traits de douleur et d’âpre indignation contre la corruption et la lâcheté de l’empire, avec des accens de prophétie lamentable qui l’ont fait surnommer le Jérémie de son siècle. Son célèbre traité du Gouvernement de la Providence est le tableau le plus fidèle de ce grand et unique moment dans l’histoire du monde. Le Bossuet rude de cet âge y justifie en traits sublimes la Providence des succès qu’elle accorde à toutes ces nations barbares, dont elle use comme de fléaux. On n’a jamais mieux compris qu’en lisant la corruption et l’imbécillité du vieux monde dénoncées par Salvien, la nécessité de cette infusion de sang barbare pour tout retremper et tout rajeunir. Les traducteurs ne se sont pas bornés à nous donner ce traité du Gouvernement de Dieu et celui contre l’Avarice ; ils ont traduit aussi des lettres familières de Salvien où l’on voit l’intérieur d’un ménage chrétien d’alors, et un de ces cas nombreux dans la vie des saints de ce temps, deux époux se privant par vertu chrétienne des plus légitimes tendresses, et habitant ensemble comme frère et sœur. MM. Grégoire et Collombet, dans cette publication estimable, n’ont pas été mus seulement par des raisons d’étude et de choix historique et littéraire ; un sentiment religieux, qui est celui d’une si notable partie des jeunes générations de notre temps, les a poussés à cette entreprise utile dont ils se sont acquittés avec élégance et bonheur. Ce même zèle de chrétiens studieux les porte à nous promettre de donner successivement les œuvres de Vincent de Lérins, de Sidoine Apollinaire, les lettres de saint Jérôme. S’il nous était permis de leur exprimer un vœu, ce serait que leur choix tombât de préférence sur ceux des auteurs ou des ouvrages qui n’ont pas été traduits encore. Une publication comme celle de Salvien devrait être naturellement l’occasion d’examiner cet auteur original et de retracer avec quelque détail la société et la littérature chrétienne d’alors. Nous croyons savoir qu’un de nos collaborateurs s’occupe en ce moment d’un tel travail, qu’il professera avant peu avec sa profondeur et sa sagacité ordinaire. Ce sera le temps d’y revenir. Ainsi les études religieuses renaissent de toutes parts, et il se manifeste un mouvement non douteux de restauration du christianisme par la science.

  1. Lyon, Sauvignet ; Paris, Bohaire, boulevart des Italiens, 10.