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REVUE. — CHRONIQUE.

de partie dans les grands contrats européens, a supporté et supporte avec un rare désintéressement l’état de possession si onéreusement établi à son préjudice. Elle n’a fait aucun effort pour le changer, mais par cela même elle n’a reconnu et ne peut reconnaître à aucune puissance le droit de détruire ou d’altérer sans elle ce qui a été établi avec son concours, ou ce qui existe en vertu d’un assentiment antérieur. » Ce n’est pas la France qui veut les traités de 1815, disait M. Bignon ; mais, puisqu’elle veut bien les supporter, du moins elle a le droit, et elle est disposée à le faire valoir, d’exiger que les puissances se renferment dans la part qu’elles se sont faite. — Or, les traités de 1815 n’admettaient pas que la Pologne deviendrait une province de la Russie, et la mer Noire un lac russe.

Les paroles de M. Bignon devaient avoir un retentissement d’autant plus grand dans le monde politique qu’on y connaissait les alarmes éprouvées depuis quelques jours par le ministère au sujet des affaires étrangères.

On a vu quelles discussions a fait naître, entre les journaux de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne, la découverte toute récente d’un traité entre la Prusse et l’Autriche, destiné, disait-on, à garantir l’intégrité de l’empire ottoman. Il paraît que par ce traité les deux puissances contractantes se bornent à déclarer que, dans le cas où Mahmoud serait privé du trône et sa maison éteinte ou écartée de la succession, l’Autriche et la Prusse, d’accord avec la Russie, s’uniraient pour empêcher que le trône de Constantinople ne tombât entre les mains du pacha d’Égypte ou d’un membre de sa famille. Ainsi Méhémet-Ali est traité par les trois puissances comme le fut Napoléon. Une sainte-alliance offensive et défensive est formée contre lui, c’est-à-dire contre l’influence de la France en Orient, puisque, par un bien faux principe, le pacha d’Égypte a été adopté par notre gouvernement comme le représentant de la civilisation.

M. de Lamartine, qui vient de prendre place à la chambre, y a traité cette question avec une abondance de vues bien remarquable, et surtout avec une réserve diplomatique qui donnerait lieu de croire qu’il était informé, de bonne source, de la teneur de ce traité. Nous regrettons seulement qu’un homme doué d’une si haute intelligence ait pu se laisser prendre aux faux-semblans de civilisation du gouvernement égyptien. Il suffit d’avoir franchi les portes d’Alexandrie, et même d’avoir examiné attentivement la capitale pour reconnaître que le gouvernement du pacha est le régime le plus oppresseur, le plus destructif de toute notion de justice et d’humanité, qui ait jamais paru sur la surface de la terre.