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LE MARQUIS DE SANTILLANE.

dans toutes les têtes, où il faut avouer que ses ravages même contribuèrent à aiguillonner le génie national. Mais lorsque Santillane dit que l’art de la poésie s’étendit des Limousins aux Français de l’Aquitaine, et de ceux-ci aux Espagnols, il faut entendre l’art exotique, et le bien distinguer de la poésie antérieure, expression primitive d’une civilisation originale.

Ces observations tendent à signaler les écueils à éviter dans la lecture de cette préface, dont un savant bénédictin espagnol a pris certains passages pour base d’une hypothèse erronée dont l’amour du pays est le premier complice. Le galicien Sarmiento, dans le volume posthume que nous avons déjà eu occasion de citer[1], a forcé le sens de Santillane pour lui faire dire que la poésie espagnole, par toute la péninsule ibérienne, parla originairement le dialecte galicien. Mais c’est au contraire après avoir mentionné le poème d’Alexandre et les œuvres de l’archiprêtre de Hita, que l’auteur de la préface continue ainsi : « On découvrit ensuite, en Galice et en Portugal, je crois, la mesure du grand vers de douze syllabes …et il n’y a pas long-temps encore que les troubadours de cette péninsule, fussent-ils castillans, andalous ou de l’Estramadure, composaient tous leurs ouvrages en langue galicienne ou portugaise. » On ne saurait expliquer plus clairement qu’à l’emploi des anciens mètres castillans succédèrent de nouvelles formes de vers, inventées peut-être en Galice ou en Portugal, et que l’usage de la langue galicienne venait d’avoir une vogue passagère dans la poésie espagnole. La question d’antériorité entre l’une et l’autre poésie se présente ici naturellement ; mais le lecteur cette fois en sera quitte pour la peur.


E. D’Ault-Dumesnil.
  1. Memorias para la historia de la poesia y poetas españoles.