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LITTÉRATURE ANGLAISE.

Le colonel Napier a donné, après Southey, une histoire remarquable de la guerre de la Péninsule. Quand on entendit parler de cette entreprise, on la regarda comme une folie. Que restait-il à faire en effet ? À peine pourrait-il glaner après la moisson de l’homme de génie ; sans doute il allait donner au public des marches et des contre-marches, des détails techniques de sièges et de campemens, des dissertations sur les uniformes des armées, enfin la statistique générale des livres de poudre brûlées dans cette campagne mémorable. On n’attendait pas davantage de ce soldat habile et brave qui avait été lié avec les chefs de tous les partis, qui avait traversé dans tous les sens le théâtre de cette guerre, qui l’avait contemplée non seulement avec le coup d’œil du guerrier, mais avec le regard du philosophe.

De quel étonnement ne fut-on pas pénétré, lorsque l’on vit paraître un des plus beaux livres de notre langue, une narration vive, forte, simple, brillante, contenant non-seulement l’histoire stratégique, mais l’histoire morale, politique et intellectuelle de ce pays : œuvre pleine de mouvement, où le canon tonne, où les bataillons s’ébranlent et se culbutent, où les personnages principaux sont d’une vérité animée, où tout est rapide, violent, terrible et vrai. Nous honorons le colonel Napier, parce que, militaire distingué par plus d’une action d’éclat, il a vu dans le monde autre chose qu’une caserne ; parce qu’il a conservé un cœur d’homme, et n’a pas cru permis à un chef d’armée de verser le sang à torrens pour prouver la vérité d’une démonstration algébrique et la justesse d’une manœuvre. Il laisse à d’autres la triste manie de n’admirer l’homme que comme de la chair à canon, de ne voir dans la nature physique qu’un assez bel emplacement destiné à des parcs d’artillerie, à des évolutions d’infanterie, à des chocs d’escadrons. Il a fait plus : se débarrassant lui-même de tous les préjugés qui nous environnent, il a osé manifester le regret que, dans le service militaire de la Grande-Bretagne, le mérite réel contribue si peu à l’avancement du soldat. Notre aristocratie guerrière s’est soulevée contre cette assertion ; elle s’est fâchée contre cette vérité irrécusable : « Que Dieu distribue le génie et le talent sans acception de rang et de naissance. » Le colonel Napier prouvait à ses adversaires que dans un régime pareil à celui que nous avons adopté, Soult et Lannes, à force de bravoure et de persévérance, auraient tout au plus atteint le grade de sergent, et que Bonaparte, avec tout son mérite, serait devenu simplement colonel d’artillerie. À cela que répondre ? Les ennemis du colonel Napier et de son système, se contentèrent de l’injurier.

En Espagne, il a trouvé aussi des antagonistes. Cela devait être. Il écrivait comme un Anglais et comme un soldat. Les vérités qu’il avait