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LE MARQUIS DE SANTILLANE.

les noces retentissent à la louange des nouveaux époux. Les bergers même ont leur genre de poésie ; c’est celle que les poètes appellent bucolique. En d’autres temps, pour faire honneur aux cendres des morts, on chantait des vers élégiaques ; et aujourd’hui même ces vers sont encore en usage en quelques endroits, sous le nom de chants funèbres[1]. C’est ainsi que Jérémie chanta la destruction de Jérusalem. César, Auguste, Tibère et Titus versifiaient à merveille, et ils aimaient tout ce qui était poésie.

« Mais laissons l’histoire ancienne pour nous rapprocher davantage de nos jours. Le roi Robert de Naples, illustre et vertueux prince, eut beaucoup de goût pour cette science, et il garda longtemps auprès de lui à Naples François Pétrarque, poète lauréat, qui florissait alors. La poésie était l’objet continuel de leurs conversations, et ils s’y exerçaient ensemble, tellement que le poète fut très bien-venu et très en faveur auprès du roi. C’est là, dit-on, que Pétrarque composa un grand nombre de ses ouvrages aussi bien en latin qu’en langue vulgaire, entre autres les quatre livres Rerum memorandarum, ses églogues, beaucoup de sonnets et particulièrement celui qu’il fit à la mort de ce roi, et qui commence par ce vers :

Rota è l’alta Colonna e’l verde Lauro[2]

« Jean Boccace, poète excellent et orateur distingué, assure que le roi Jean de Chypre s’est plus adonné à l’étude de cette gracieuse science qu’à aucune autre.

« Mais comment et d’où cette science est-elle primitivement arrivée jusqu’aux romanciers ou écrivains en langue vulgaire, c’est, je crois, ce dont il serait difficile de s’enquérir. Laissant donc de côté les nations qu’une trop grande distance sépare de nous, il n’est pas douteux que ce n’ait été toujours et que ce ne soit encore un usage universel de distinguer dans cette science trois degrés qui

  1. Endechas.
  2. Ce n’est pas à la mort du roi Robert, mais à l’occasion de celle de la belle Laure que Pétrarque composa ce sonnet, où il fait aussi allusion à la perte de son protecteur, le cardinal Colonna.