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grande ardeur l’origine et la cause des choses, je dis que la poésie est antérieure et supérieure à la prose, et qu’elle a aussi plus d’autorité. Saint Isidore, archevêque de Séville, le prouve[1] ; et Moïse fut, selon lui, le premier qui fit des vers et qui s’exprima en langage métrique ; il chanta et prophétisa en vers la venue du Messie ; et, après lui, Josué chanta la victoire de Gabaon. Tous les psaumes de David sont des chants en vers. Mais les Hébreux assurent que nous ne pouvons pas sentir ni goûter aussi bien qu’eux la douceur de leur poésie. Salomon composa ses proverbes en vers, et certaines choses de Job sont écrites en vers, spécialement les paroles d’exhortation par lesquelles ses amis répondent à ses plaintes.

« Parmi les Grecs, on veut que les premiers aient été Hécatée de Milet, et ensuite Phérécyde de Syros et Homère, que Dante appelle un poète souverain[2]. Ennius fut le premier des Latins, bien qu’on prétende que Virgile porte le sceptre de la monarchie de la langue latine ; et Dante est de cet avis lorsqu’il dit, au nom de Sordello de Mantoue :

O gloria de’ latin, disse, per cui
Mostrò ciò che potea la lingua nostra !
O pregio eterno de luogo ond’ i fui
[3] !

« Je conclus donc que cette science, agréable à Dieu, plut ensuite à tout le genre humain. C’est ce qu’atteste Cassiodore, lorsqu’il dit : Toute la splendeur de l’éloquence, tous les genres et toutes les espèces de poésie ou de langage poétique, toutes les variétés de la parole tirent leur origine des divines Écritures. La poésie se chante dans les temples de la Divinité ; les cours et les palais des empereurs et des rois lui font un gracieux accueil. Sans elle les places et les lieux publics, les fêtes, les banquets de l’opulence sont silencieux et comme muets. Et, j’ose le dire, où cet art n’intervient-il pas, où ne sert-il pas, où n’est-il pas nécessaire ? En vers sont composés les épithalames, qui sont des chants dont

  1. Etymolog. lib. i, cap. 39.
  2. Inferno, cant. iv.
  3. Purgator, cant. vii.