Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.
213
LE MARQUIS DE SANTILLANE.

proverbes dans de courts commentaires. Mais presque chaque strophe est suivie d’une glose du docteur Pedro Diaz de Tolède, où la pensée de Santillane est longuement commentée, et où surabondent un pédantesque étalage d’érudition et un luxe immodéré de citations de tous les auteurs anciens et modernes dont le bon docteur avait connaissance. Aristote est principalement invoqué à tout propos. Au reste, Pedro Diaz fut ce qu’étaient tous les glossateurs de son temps, et je ne lui en intenterai pas une accusation particulière, car il y aurait injustice. Dans une de ses gloses, il explique comment on alliait alors la croyance à l’astrologie avec la doctrine chrétienne sur la libre volonté de l’homme. «  Suivant l’opinion des astrologues et des théologiens catholiques, dit-il, l’influence des corps célestes sur nos actions n’est pas telle qu’elle nous prive de notre libre arbitre, en nous obligeant à faire nécessairement ce dont chaque astre est le signe ; mais elle incline notre volonté vers les actions que ce signe indique, en mettant en mouvement dans cette direction toutes nos facultés corporelles ; ce qui n’empêche pas l’homme vertueux et sage d’être maître des étoiles. »

Mais j’avouerai que l’intention de cet article est surtout de rendre accessible aux lecteurs étrangers à la langue castillane le monument le plus précieux qui subsiste de l’enfance de la critique littéraire en Espagne. Ce témoignage si curieux aujourd’hui de ce qu’elle y était au milieu du xve siècle, n’existe encore que dans son expression originale, c’est-à-dire en langue espagnole de cette époque, et la nation dont il est un des titres de noblesse intellectuelle ne l’a même vu publier qu’en 1779, par l’érudit Thomas Sanchez, dans le tome premier de sa Collection de poésies castillanes antérieures au quinzième siècle, qui est d’ailleurs très peu répandue. Antécédemment à cette date, Sarmiento, bénédictin de Madrid, avait bien donné une analyse de ce rare morceau dans un volume que l’impression rendit public après sa mort, en 1775[1] ; mais ce n’étaient encore que quelques fragmens de la Lettre de Santillane, que le savant bénédictin faisait connaître, et le texte moins incorrect où nous la lisons intégralement aujourd’hui prouve qu’il n’avait eu à sa disposition que des manuscrits

  1. Memorias para la historia de la poesia y poetas Españoles.