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LE MARQUIS DE SANTILLANE.

son temps, un des plus habiles à tous les exercices de la guerre et de la chevalerie. » Comme l’introduction de son glossateur, le prologue de Santillane est adressé à don Henri. L’auteur nous y apprend que c’est par ordre du roi Jean ii qu’il composa ses proverbes pour le prince de Castille, « à l’exemple des proverbes que le sage Caton fit pour laisser à son fils[1]. » Le désir d’imiter Salomon se décèle aussi dans ce prologue. Santillane y appelle ses proverbes une toute petite œuvre, pequeñuela obra, dont il déclare qu’il a emprunté la plus grande partie de Socrate, de Platon, d’Aristote, de Virgile, d’Ovide et de Térence. « La théorie doit toujours s’unir à la pratique, dit-il à don Henri, et comment celui qui ne saurait pas se conduire lui-même pourrait-il conduire et gouverner les autres ? C’est sur le patron des grands hommes de l’antiquité païenne et de la chrétienté que vous devez tâcher de vous former. Imitez les Catons, les Scipions, les Goths et les douze pairs ; souvenez-vous du Cid, Ruy Diaz ; souvenez-vous de vos illustres aïeux ; et, à quiconque voudrait vous persuader qu’il suffit qu’un prince sache gouverner et défendre ses états, et que toute autre connaissance lui est inutile, répondez avec Salomon qu’il n’y a que les insensés qui méprisent la science. La science n’émousse pas le fer de la lance ; elle ne fait pas trembler l’épée dans la main du chevalier[2]. » Cette généreuse pensée est un trait de caractère du génie espagnol, qui, comme la vierge du Parthénon, semble être sorti du cerveau divin, armé de pied en cap, pour présider et aux combats et aux chants. Le grand Cervantes, qui scella, lui aussi, de son sang répandu l’autorité de ses paroles, fut, comme le poète-chevalier du siècle de Jean ii, l’écho de l’inspiration nationale, lorsqu’il répéta, dans son immortel chef-d’œuvre : Jamais la lance n’émoussa la plume[3]. Santillane ne nous laisse pas ignorer que, s’il prend quelques licences poétiques dans ses proverbes, il n’en a pas moins lu « les règles de l’art des trou-

  1. Segun la doctrina de semejantes proverbios que el sabio Caton hizo y dexó a su hijo.
  2. La sciencia no embota el hierro de la lança, ni hace floxa la espada en la mano del caballero.
  3. Nunca la lanza embotó la pluma. Don Quix.