Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/211

Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
LE MARQUIS DE SANTILLANE.

gnoles, fruits d’un travail dont Santillane avait commis la tâche à son fils le grand cardinal.

Santillane a colligé lui-même toutes ses œuvres dans un Cancionero, c’est-à-dire recueil, pour les adresser au connétable de Portugal qui les lui avait demandées. Mais ce recueil est enseveli dans le sommeil des richesses manuscrites qui dorment au fond des bibliothèques de l’Espagne, et l’impression n’a encore rendu public qu’un tiers environ des ouvrages dont il se compose. Observons qu’il contient quarante-deux sonnets, chacun de quatorze vers, distribués en deux quatrains et deux tercets, conforme enfin au sonetto des Italiens, que nous avons aussi imité en France, où Boileau en a versifié les rigoureuses lois dans la charte qu’il a octroyée à notre parnasse, mais dont le génie prend la liberté de se soucier fort peu. Une opinion que la vérité commande de décréditer fait vulgairement honneur à Boscan et à son ami Garcilaso de la Vega de l’introduction en Espagne des formes métriques italiennes, et particulièrement de l’importation du sonnet. L’origine de cette erreur remonte à Boscan lui-même qui s’est proclamé l’inventeur des sonnets espagnols. Le Cancionero de Santillane est donc un fait littéraire qui recule d’environ un siècle la date de ce produit de l’influence d’une péninsule sur l’autre. Fernand de Herrera, dans ses notes sur Garcilaso, rend à qui elle appartient la gloire, quelle qu’elle soit, de la première imitation castillane des sonnets italiens ; et à ce sujet, il cite un sonnet de Santillane, qu’on trouve aussi dans la poétique d’Ignace de Luzan. Mais la question littéraire dont il s’agit ici mérite qu’on contribue à accroître la publicité de la preuve qui la résout en faveur de Santillane et du quinzième siècle. Les traducteurs, en langue castillane, de l’histoire de la littérature espagnole, écrite en allemand par Bouterwek, donnent ce sonnet dans leurs notes, et c’est d’après eux que je le transcris. En dépit d’une profusion d’antithèses qui répugne à notre goût, et malgré son antériorité séculaire, il ne perdrait pas à être comparé avec les meilleurs de Boscan et de Garcilaso. Le style de cette petite pièce me semble, sauf avis plus compétent, d’une pureté encore inconnue aux contemporains de Santillane, et atteste incontestablement les progrès que ce poète a fait faire à sa langue. Mais qu’on ne le juge pas ici sur la traduction que j’ai