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l’évêque de Burgos : Si tu causais avec Jean de Mena seulement, tu parlerais latin, je le sais bien ; oh ! que je suis malheureux de me voir en défaut sur la langue latine[1] ! Mais les œuvres de Santillane attestent, en maint et maint lieu, qu’il connaissait trop bien les auteurs latins, qu’il cite même assez souvent, pour ignorer leur langue. Il n’est donc permis d’inférer du passage de Jean de Lucena que l’inaptitude de Santillane à parler le latin. L’érudition dont il fait preuve, et même étalage, à tout propos, ne laisse pas douter qu’il ne l’entendît à la lecture. C’est d’ailleurs ce qu’affirment expressément le père Fernand Pecha[2], Alphonse de Castro[3], l’auteur de l’ouvrage de Laudibus hispanis, et plusieurs autres dont nous pourrions nous autoriser, si c’était une opinion soutenable en histoire littéraire que Santillane ne se fût abreuvé qu’à la coupe des traductions de l’esprit des auteurs latins, dont ses Proverbes, par exemple, nous le montrent si profondément imbu. Que les langues italienne et française ne lui aient pas été étrangères non plus, c’est ce dont témoigne incontestablement, comme on le verra bientôt, son plus précieux legs à la postérité, la Lettre au connétable de Portugal ; et Ferrer de Blanes, auteur catalan, qui écrivit, au temps de Ferdinand et d’Isabelle, un livre intitulé, Sentences catholiques du divin poète Dante, fait l’éloge du savoir varié de Santillane, et ajoute qu’il fut grand dantiste, dantista. C’est aussi son fonds de connaissances littéraires et philosophiques, bien plus que sa valeur poétique, qui fait maintenant le prix de l’ensemble de ses ouvrages, thermomètre qui marque la température des lumières au quinzième siècle en Espagne. Il avait laissé une nombreuse bibliothèque, qui serait aujourd’hui une des plus curieuses en fait de manuscrits, si elle n’avait pas été dévorée par les flammes, dans l’incendie de son palais patrimonial de Guadalajara, au commencement du dernier siècle. Cette bibliothèque contenait beaucoup de traductions espa-

  1. Si con Juan de Mena fablases á solas, latino sermon razonarias, yo lo sé : O mi misero, quando me veo defetuoso de letras latinas !
  2. Historia M. S. de Guadalajara.
  3. Historia de Guadalajara.