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HISTOIRE MODERNE.

grandes puissances qui au moyen-âge avaient représenté le droit : le saint empire et le saint pontificat. L’idée du droit, placée naguère dans les deux représentans des pouvoirs temporel et spirituel, où va-t-elle se transporter ? L’homme est lâché hors de la route antique ; le sentier tracé disparaît à ses yeux, il se trouve obligé de se guider et de voir pour soi. La pensée soutenue jusque-là, jusqu’alors persuadée qu’elle ne pouvait aller d’elle-même, la voilà laissée comme orpheline ; il lui faut, seulette et timide, cheminer par sa propre voie dans ce vaste désert du monde.

Elle chemine ; à côté d’elle, marchent les nouveaux guides qui veulent la conduire ; ceux-ci Franciscains, Dominicains, parlent encore au nom de l’Église. Ce sont des moines, mais des moines voyageurs, mendians. Ils n’ont rien de la sombre austérité du moyen-âge ; l’humanité n’a rien à craindre ; ils lui font un petit chemin de fleurs ; s’il y a un mauvais pas, ils jettent sous ses pieds leur manteau. Lestes et facétieux prédicateurs, ils charment l’ennui du voyage spirituel. Ils savent de belles histoires, ils les content, les chantent, les jouent, les mettent en action. Ils en ont pour tout rang, pour tout âge. La foi, élastique en leurs mains, s’allonge, s’accourcit à plaisir. Tout est devenu facile. Après la loi juive, la loi chrétienne ; après le Christ, saint François. Saint François et la Vierge remplacent tout doucement Jésus-Christ. Les plus hardis de l’ordre annoncent que le Fils a fait son temps. C’est maintenant le tour du Saint-Esprit. Ainsi, le christianisme sert de forme et de véhicule à une philosophie anti-chrétienne. L’autorité est ruinée par ceux qu’elle avait institués ses défenseurs.

Tandis que ces moines entraînent le peuple dans leur mysticisme vagabond, les juristes, immobiles sur leurs sièges, ne poussent pas moins au mouvement. Ceux-ci, ames damnées des rois, fondateurs du despotisme monarchique, ne semblent pas d’abord pouvoir être comptés parmi les libérateurs de la pensée. Enfoncés dans leur hermine, ils ne parlent qu’au nom de l’autorité, ils ressuscitent les procédures de l’Empire, la torture, le secret des jugemens. Ils somment l’esprit humain de marcher droit par l’itinéraire du droit romain. Ils lui montrent dans les Pandectes la route nécessaire. Rien de plus, rien de moins. C’est la raison écrite. Si l’humanité se hasarde de demander autre chose, ils n’entendent