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LITTÉRATURE ANGLAISE.


    paraîtra singulière, si l’on se rappelle que l’auteur, au moment même où il publiait un livre, était membre du parlement, et que cette position si influente, si honorable, si enviée, il ne la doit ni au crédit de sa famille, ni à sa naissance, ni à ses richesses, mais à sa renommée littéraire, à quelques romans remarquables qui l’ont fait connaître, et à la direction d’un recueil célèbre (the New Monthly), qui n’a même pu prospérer sous sa tutelle. M. Cunningham, qui reproduit les déclamations de M. Bulwer, a été simple ouvrier dans sa jeunesse. Sans amis, sans appui, sans fortune, privé même d’une éducation libérale, il est parvenu à conquérir un rang très distingué parmi les célébrités de son pays. Est-ce là le mépris, est-ce là l’ilotisme auquel les écrivains, selon lui, sont condamnés dans la Grande-Bretagne ? N’offre-t-il pas un exemple frappant de cette aristocratie de la pensée, de l’esprit et du talent qui, en Angleterre comme dans tous les autres pays de l’Europe, est venue se placer en rivale, souvent en maîtresse impérieuse et en régente dominatrice à côté de toutes les vieilles aristocraties. Prenons l’un après l’autre tous les exemples que l’auteur a choisis. — Quel nom de roi plus vénéré que celui de Walter Scott ? Lorsque de mauvaises spéculations mercantiles eurent dérangé sa fortune, ne vit-on pas les hommes riches de sa patrie lui ouvrir un crédit qu’ils n’eussent pas offert au monarque ? Et si sa délicatesse n’en profita pas, s’il aima mieux consacrer ses veilles laborieuses au rétablissement de ses affaires, son courage doit-il passer pour le crime de ses compatriotes, pour la honte de l’Angleterre ? — Chatterton ne s’empoisonna pas faute de trouver du pain, mais faute de trouver de la gloire. Il avait choisi une très mauvaise route pour y parvenir ; il essaya de mystifier les antiquaires et les savans, qui se récrièrent à juste titre. Au moment de sa mort, on trouva dans sa poche plusieurs pièces d’argent ; et les lettres qu’il écrivait à son père, et qui ont été publiées, prouvent qu’il attendait plusieurs recettes assez considérables. Mais, ce malheureux homme de génie était dévoré du besoin de la gloire, de la gloire qui se fait si long-temps attendre, et qui a demandé même à Bonaparte, même à Shakspeare, tant de douleurs, tant de peines, tant de travaux. Chatterton s’ennuya d’attendre, et deux mois après son début, à dix-huit ans, il se tua. — Quelle vie plus éclatante que celle de Samuel Johnson ! Pédant tyrannique, rempli de ces travers qui blessent autrui et que l’on ne supporte dans aucune société civilisée, il domina les salons les plus fiers de l’aristocratie anglaise. — Byron, à qui sa famille avait légué une fortune délabrée, ne la releva que par le produit de ses ouvrages ; et malgré ses torts et ses fautes, sa situation en Europe et le crédit dont il jouissait le mettaient sur le niveau des princes et des hommes les plus opulens de notre époque. — Les noms de Wordsworth, Coleridge, Southey, Wilson, que cite M. Cunningham, militent également contre son assertion, Il est vrai que Wordsworth distribue du papier timbré ; mais cette espèce de sinécure, qui n’a rien de fatigant ni de déshonorant pour le poète, lui permet de tenir