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REVUE DES DEUX MONDES.

CRITIQUES ANGLAIS MODERNES.

Nous vivons dans le siècle de la critique : l’âge d’airain a remplacé l’âge d’or. Le sagace lord Kaimes et le savant Blair parlaient du génie avec des concessions respectueuses. Une race audacieuse et intrépide vint après eux ; des hommes, joignant à beaucoup d’esprit et de savoir une bonne dose d’assurance, s’emparèrent du trône de la critique et jetèrent au public leurs opinions, mélange confus de légèreté, de hardiesse et de rudesse[1]. Le monde, peu accoutumé à voir mettre en question le mérite des vétérans de la gloire littéraire, s’étonna d’une semblable témérité, et pendant long-temps ne sut quel parti embrasser ; mais le désir de voir les grands hommes abaissés emporta bientôt la balance : un esprit ordinaire éprouve un certain plaisir en apprenant que ces auteurs dont il admirait le génie colossal, ne sont après tout que de faibles mortels.

Le rire moqueur, qui s’attacha long-temps à la majorité des hommes que maintenant nous regardons comme célèbres, partit d’Édimbourg : il trouva bientôt de nombreux échos. Au lieu du feu sacré du génie, nous eûmes le pâle flambeau de la critique, et la multitude s’éprit de cette clarté factice. Ce système prit naissance à une époque où l’on commençait à douter de faits transmis aux hommes d’âge en âge, et même révélés par

  1. On ne peut guère séparer la littérature critique de la littérature créatrice. Les véritables critiques de l’Angleterre moderne, ce sont ses grands écrivains. Tous sans exception, ils ont pris part à cette polémique active qui a eu pour théâtre les publications citées par M. Cunningham. On retrouvera en première ligne, parmi les troupes réglées du Quarterly et de l’Edinburgh, les noms de Walter Scott, de Southey et de Brougham. Quelle injustice serait-ce donc de jeter anathème sur la critique anglaise, et d’accepter sans examen l’opinion qui présente les Jeffrey, les Gifford et les Wilson, comme autant de minotaures en embuscade pour dévorer les auteurs ! Sans doute les meilleurs critiques, les hommes dont la Grande-Bretagne s’honore le plus, ont eu leurs heures d’injustice, leurs jours de colère et de violence, leurs attaques passionnées, dictées par leurs préjugés et leurs intérêts. Tous les hommes de talent ont été tour à tour injustes accusateurs et victimes d’accusations injustes ; que conclure de là ? que les hommes sont faibles, et que les mêmes iniquités, les mêmes fautes, dont la société abonde, viennent se refléter dans les œuvres de l’esprit. Mais ce que l’auteur ne dit pas, c’est le mouvement de fécondité et de vie puissante que les Revues anglaises ont imprimé à leur pays, la sève active qu’elles ont versée à grands flots dans toute