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LITTÉRATURE ANGLAISE.

liberté, et où sa fille donne un libre cours à sa tendresse filiale. Les pensées sont dignes de la Rome antique, et pendant plusieurs scènes on se croit transporté à l’époque de sa gloire. Les spectateurs savaient fort bien que cette révolution n’était qu’un rêve, mais c’était un rêve de liberté, et chacun applaudissait. Ce drame ajouta à la gloire de miss Mitford. Son dialogue est plein de naturel et de vérité, et elle déploie une connaissance du cœur humain digne de l’auteur de Notre Village.


Richard Shiel est maintenant un acteur éloquent sur un théâtre qui a la nation pour public. Il semble avoir oublié Evadne[1] et l’Apostat. Son style est plein de vigueur, et ses drames offrent des incidens originaux. Il est grave, passionné, mais souvent inégal et quelquefois invraisemblable. En lui se trouvent les grands élémens du drame ; il a fait un triste échange, en ce qui touche la gloire, lorsque, comme Sheridan, il a préféré le tumulte de la Chambre des Communes aux bravos de Drury-Lane.


James Sheridan Knowles est tout à la fois auteur dramatique et acteur, et dans ces deux capacités il a obtenu les plus grands succès. Comme acteur, il est grave et naturel, ne s’occupant que du sujet de la pièce, et non des loges ni du parterre ; par la seule force de son jeu, simple et sans affectation, il entraîne les spectateurs. Rien en lui ne rappelle les gens de théâtre ; on croit voir un gentleman qui a quitté sa loge pour jouer un rôle par complaisance, et l’on s’étonne de l’aisance avec laquelle il se trouve en scène. La chaleur qu’il déploie tient à sa nature et non à son rôle. Il écrit comme il joue ; le naturel et la vérité dont il fait preuve au théâtre le suivent dans son cabinet ; la poésie de son dialogue est la poésie des passions ; son style, toujours adapté à la situation, n’est point chargé d’ornemens. Ses drames, pleins de mouvement, d’incidens heureux, sont l’expression de la société qu’il représente ; il soumet le sujet, la scène et le dialogue aux exigences et au but de la pièce. En cela il diffère de beaucoup d’auteurs, et son mérite n’en est que plus grand. Son Virginius, sa Fille du Mendiant et sa Femme de Mantoue attestent que son principal talent consiste dans la peinture des affections domestiques. Knowles est un acteur de premier ordre, parce qu’en jouant il oublie qu’il est acteur, et un auteur admirable parce qu’il écrit sans affectation, et que la beauté de sa poésie élégante n’est que l’auxiliaire de son action dramatique.

  1. Evadne de Shiel est imitée d’une fort belle pièce de Shirley, vieux poète contemporain de Jacques Ier. Le drame de Shirley est bien supérieur pour la verve, l’originalité et la passion, à celui de Shiel, qui renferme, comme la plupart des pièces anglaises modernes, de belles tirades poétiques, et peu de véritable génie dramatique.