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que je ne connais personne qui puisse lui être comparé. Tous ses drames sont écrits d’un style large et vigoureux ; ils offrent une grande variété de situations et de caractères, une éloquence animée et nerveuse, et la force d’expression que le théâtre demande. Dans les scènes pathétiques, elle approche de Shakspeare ; ses dialogues sont remplis de pensées neuves ; non-seulement elle nous émeut, mais nous sortons de la représentation de ses pièces plus instruits que nous ne l’étions auparavant.

Tous les critiques ont rendu justice à la mâle énergie de son style. Elle a intitulé ses drames : Pièces sur les passions, et cette dénomination n’a pas échappé à la critique. On lui a reproché de vouloir borner la tragédie, en ne retraçant dans chacune de ses pièces qu’une seule passion. Elle a choisi un mauvais titre, mais elle a fait de beaux ouvrages. Elle voulait que, dans chaque pièce, une seule passion dominât, comme l’amour dans Roméo et Juliette, et la jalousie dans Othello. Elle n’a pas réfléchi que jamais une passion ne marche seule ; la jalousie est suivie de la colère et de la vengeance, et l’amour est trop souvent mêlé à la crainte et à la jalousie.

Elle a parlé la langue poétique de son temps et n’a point cherché à lui donner une teinte d’antiquité ; elle pense, avec raison, que le langage employé par les poètes du siècle d’Élisabeth leur était naturel, mais ne le serait pas à notre époque. Quant au plan et à l’emploi du temps, elle a usé des libertés du drame romantique : à tout autre égard, elle est l’expression vivante de la beauté classique. Elle est en poésie ce que Flaxman est en sculpture : à côté des nobles créations de ce sculpteur, nous pourrions placer les ouvrages de Joanna Baillie. Elle ne perd jamais de vue le sujet qu’elle a choisi, et ne cherche point à cacher son héros sous de nombreux ornemens. Sévère sans froideur, caustique et ironique sans méchanceté, elle sympathise avec les peines humaines sans verser des torrens de larmes sur une piqûre d’épingle.


Lorsque l’auteur de Waverley écrivit la préface des Aventures de Nigel, il y laissa deviner l’intention de composer un drame, non pas, dit-il, à l’imitation de lord Byron (il se croyait trop au-dessous de lui), mais en qualité d’écrivain modeste qui avait déjà fait une tentative dramatique. Bientôt après on annonça Halidon-Hill, par sir Walter Scott, et le grand poète ayant depuis long-temps négligé les muses, sa réapparition excita l’attention générale. Cette œuvre cependant n’était point un drame régulier ; ceux qui s’attendaient à trouver une pièce divisée en actes et en scènes exprimèrent leur désappointement, et se plaignirent que le style ne rappelait ni celui de Shakspeare, ni les épigraphes en vers placées en tête des chapitres de ses romans. Mais ceux qui parcoururent l’ouvrage