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LITTÉRATURE ANGLAISE.

un seul foyer les rayons épars des souvenirs historiques ; dénué de cette vigueur et de cette patience qui réunissent les faits en un seul faisceau, qui les groupent et les disposent avec force et avec sagacité ; s’occupant de trop de détails subalternes et de minuties ; trop philosophe, trop métaphysicien pour accomplir l’œuvre de l’historien, pour narrer candidement, noblement les faits légués par le temps passé, il manquait de simplicité, d’aisance, d’originalité. Il lui appartenait de juger des évènemens et de disserter sur eux d’une manière érudite et ingénieuse, bien plutôt que de les reproduire avec cette largeur épique, caractère distinctif de l’historien. Ses amis me semblent avoir surfait son talent ; s’il avait eu le génie historique, ce génie aurait bouillonné en lui et se serait frayé un passage de vive force. Je ne crois pas, comme le poète Gray, à ces Miltons sans gloire qui manquent à leur vocation, à ces génies méconnus, silencieux et muets.


Sir Walter Scott a écrit deux histoires d’Écosse : l’une populaire, familière, les Soirées du coin de feu, qu’il raconte à son petit-fils ; histoire charmante, pleine de vie, de grace, de naïveté, rayonnante de chevalerie, de bonhomie, de souvenirs héroïques, narrés avec une admirable candeur. Scott n’a pas consulté un seul ouvrage, pour composer ce livre qui nous enchante. Toute cette poésie de sa patrie, cette vaste fresque si bien colorée, ces tableaux épurés, sans mélange des inutilités et des scories que la plupart des historiens joignent à leur œuvre, est sorti du cerveau de Scott comme Minerve armée du cerveau de Jupiter. La première série est surtout merveilleuse, et la seconde n’est guère inférieure à la première. Dans l’une nous trouvons les grandes aventures de Wallace et de Bruce, les naissantes destinées de l’Écosse ; dans la seconde, l’histoire domestique, privée et nationale de ce pays depuis l’avènement de la famille Stuart jusqu’à la réunion de l’Écosse et de l’Angleterre. Que d’épisodes intéressans, que de traits délicats et curieux que l’on ne trouve nulle part ailleurs ! quel charme dans ce récit ! et combien nous semble puéril et faux le jugement de ces hommes, qui, voulant faire des romans, ont oublié une époque, un pays, des mœurs si pittoresques ! La troisième série a été déflorée par Waverley, qui en a reproduit avec tant de beauté et de grace les incidens les plus brillans et les plus curieux. Ce qui est étonnant, c’est que dans ce grand ouvrage, écrit tout entier de mémoire, Scott n’a commis qu’une seule erreur.

Je suis beaucoup moins content, pour ma part, de l’ouvrage sérieux qu’il a consacré au même sujet ; c’est une œuvre froide et sèche, qui n’a ni la dignité de l’histoire ni l’intérêt vif du roman. La main du malheur pesait alors sur Walter Scott : l’on dirait que son souffle glacé a flétri l’originalité et la fraîcheur d’imagination qui appartenaient à l’historien-poète ;