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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

tres ; mais à la condition de tuer ceux que l’on pille. Il n’y a que les morts qui ne témoignent pas ; axiome de grands chemins applicable en littérature. Qui est-ce qui connaît aujourd’hui ceux que Molière et Shakspeare ont détroussés ?

Le dialogue de M. Dumas est vif, saillant, animé ; il n’est pas assez abondant, il est trop peu nourri. Son style, incorrect, inculte, s’améliore pourtant ; je voudrais plus de largeur à sa parole et plus de profondeur à sa pensée. Il n’existe pas d’auteur dramatique qui entende mieux le mécanisme de la scène. Presque toutes ses pièces sont d’une architecture hardie et variée, légère et solide, à l’aide de laquelle il cache les faiblesses, déguise les invraisemblances, escamote les difficultés. Scènes, actes, drames, il termine tout avec un rare bonheur. C’est l’homme aux dénouemens : il eût été bon peintre, excellent architecte ; il a vraiment et surtout le talent du dessin et le génie de la composition. Mais qu’il prenne garde aux défauts de ses qualités. De même que le corps n’est que l’enveloppe de l’ame, la forme n’est que le corps de la pensée. Il ne faut pas que le tissu absorbe la trame ; le canevas est fait pour la broderie. L’ordre ne peut être que le rayonnement de l’unité. L’unité, c’est la lumière ; les couleurs dont elle se compose, voilà la variété. La variété dans l’unité, c’est le monde ; magnifique plan sorti des mains du plus grand des architectes.

Dans le drame comme dans la Bible, l’homme est le pivot, le centre, la fin de la création. Que M. Dumas l’étudie donc sous toutes ses faces. Ne peut-il joindre le sentiment à la passion, l’intelligence au sentiment ? Adroit dessinateur, quand il le veut, il saisit bien les ressemblances. Mais la physionomie lui échappe quelquefois et souvent l’ame. Il ne suffit pas d’être peintre comme Labruyère, il faut encore être penseur comme Larochefoucault, profond comme Machiavel. Sonder les reins et les cœurs, c’est ce qui du poète dramatique fait un démon ; créer des caractères, c’est ce qui en fait un dieu : qualité de Racine que M. Dumas n’admire pas assez sans doute, et de Shakspeare surtout qu’il admire trop légèrement peut-être.

Platon aurait mis M. Dumas à la porte de sa république, et il aurait eu raison. Non qu’il soit athée, il n’est que sceptique ; c’est le Byron du drame, chantant indifféremment le bien, le mal, sans