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toire. Si ce n’est pas un ouvrage irréprochable, c’est du moins une œuvre utile à la liberté, d’opinion consciencieuse, et la meilleure action littéraire peut-être qu’ait faite l’auteur.

Après deux ans d’absence, M. Dumas revient au théâtre. Poursuivi jusque dans son silence, il rentre aujourd’hui dans la lice. À lui seul de soutenir sa cause en face du public, en continuant les victoires de sa jeunesse par les succès de l’âge mûr. Aux qualités qui caractérisent ses premiers drames, qu’il s’efforce d’ajouter celles qui leur manquent. Nous allons le retrouver sans doute avec sa passion fougueuse, sauvage, brutale, africaine, pleine d’amour et de jalousie, de violence et de ruses, de sang et de larmes ; qu’il ne néglige pas les contrastes, et qu’il place encore Paula auprès de Christine, Jenny à côté de Richard, Henri en face d’Alfred. Pourquoi ne peindrait-il pas le sentiment maternel, filial ? Il y a dans Angèle des mots d’une éloquence maternelle si vraie et si pénétrante ! Que ne met-il en scène l’amitié ? La mépriserait-il comme Antony ? Ce n’est pas une des qualités de l’époque : mais n’exprimerait-il qu’une époque ? Qu’il oppose le sacrifice à l’ambition, le dévouement à l’égoïsme. Pour tout peindre, il faut tout sentir, a dit le poète. Qu’il sente donc avant de peindre. Le dévouement de Muller est un dévouement d’exception, et, pour ainsi dire, le sacrifice de l’égoïsme.

On ne trouve pas assez, dans les drames de M. Dumas, cet élan de l’ame, ce courage du bien, cette plénitude du cœur qui nous transporte à la lecture de Corneille. Que le sentiment de l’humanité, si remarquable dans Gaule et France, plane aussi sur son théâtre comme un soleil, et le pénètre, et l’éclaire et le vivifie. Le mouvement et l’intérêt qu’il verse à pleines mains sur tous ses ouvrages en deviendront plus puissans et plus dignes. Artiste d’exécution plutôt que d’invention, il rétablira l’équilibre par le travail et la conscience. Doué d’une mémoire persécutrice, il doit s’en servir comme d’un ami quand il lit, et s’en défier comme d’un ennemi quand il écrit. L’ame, pas plus que le corps, ne se nourrit d’elle-même. Imitation, assimilation, deux lois qui président aux fonctions de l’estomac et du cerveau. Mais prenez garde que l’un doit, comme l’autre, détruire, digérer, transformer les alimens qu’il emploie. Le vol est donc permis dans la république des let-