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d’accuser aussi la société, indulgente complice de l’auteur. Dante place dans son enfer ces âmes qui ont perdu le bien de l’intelligence ; où faut-il mettre celles qui ont perdu l’instinct de la pudeur ? À voir les choses que les femmes d’aujourd’hui applaudissent ou tolèrent, on est près de calomnier jusqu’à la vertu.

Il est vrai que les deux derniers actes feraient absoudre de plus grosses énormités, si c’est possible. Le quatrième n’a que deux scènes, mais fort belles : Henri devinant le secret d’Angèle ; Angèle avouant sa faute à sa mère. Il y a dans chacune un mot sublime que je ne puis m’empêcher de rappeler ici. Muller vient de reconnaître dans Angèle la malheureuse qu’il a accouchée quatre jours auparavant : Angèle est abîmée dans sa honte ; femme, elle se jette aux genoux de l’homme qui sait tout ; mère, elle se relève aussitôt avec ce cri du cœur : Mon enfant, monsieur, qu’avez-vous fait de mon enfant ? Dans la scène suivante, pressée par les questions de Mme de Gaston, Angèle ne sait comment lui révéler son déshonneur. Enfin, son secret lui échappe avec ces mots : Ma mère, si j’avais là mon enfant, je le mettrais à vos pieds, et vous nous pardonneriez alors. Mlle Ida a rendu presque tout ce rôle avec une puissante vérité et une grace charmante.

Le dénouement est aussi dramatique qu’imprévu. On pouvait finir d’une manière plus logique, plus raisonnable, mais non plus intéressante. Il faut qu’Alfred épouse Angèle. Feignant de céder aux prières de Mme de Gaston, il l’éloigne en la trompant. Ma mère, dit le fourbe, montez dans ma voiture ; allez chercher votre notaire, et je signerai… Le roué profite de l’absence de Mme de Gaston pour fuir : mais Henri, qui a tout vu, tout entendu, l’arrête. Scène de provocation, où Bocage, chargé du rôle ingrat de d’Alvimar, a retrouvé toutes ses éminentes facultés, en face de Muller, le beau rôle de la pièce, dignement représenté par Lockroy. Pendant que d’Alvimar va prendre ses pistolets, il se passe, entre Angèle et Henri, une scène attendrissante, dans laquelle l’infortuné, sur le point de risquer le peu de vie qui lui reste pour la victime d’Alfred, laisse échapper l’aveu de son amour, et apprend d’elle qu’elle n’a jamais vraiment aimé son séducteur. Quelle confidence, et dans quel moment ! Henri la quitte pour aller se battre avec son rival. Le notaire vient dresser le contrat ; une détonation se