Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
145
POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

Et qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas là l’ouvrage de M. Dumas, et que je fais Antony plus grand qu’il n’est. Explosion d’un sentiment individuel, ou retentissement d’une douleur générale ; œuvre de conscience ou manifestation instinctive ; résumé philosophique des mœurs actuelles, ou traduction spontanée d’une situation particulière, peu importe : voilà Antony tel que l’ont senti tous ceux qui sentent, tel que l’ont pensé tous ceux qui pensent, tel que l’a fait celui qui fait toutes les pièces, le public. Et quand ce ne serait pas celle que rêvait l’auteur, qu’est-ce que cela prouverait ? À part quelques rares privilégiés, quelques génies virils, qui, joignant la conscience à la force, dominent leur siècle et engendrent l’avenir ; être sympathique et passif comme la femme, le poète, le plus souvent, d’après Platon, conçoit sans volonté et produit sans intelligence. C’est l’ame de la sybille, centre magnétique où toutes les influences viennent aboutir, sorte de foyer acoustique où tous les bruits épars, tous les sons confus d’une époque viennent converger, pour en sortir avec une voix articulée, puissante, solennelle. Seulement il y a des ames qui se placent au point de convergence des blasphèmes et des malédictions d’un siècle ; il en est d’autres, échos choisis, qui ne renvoient que cantiques d’amour et de bénédictions : il y a des prophètes du ciel et des prophètes de l’enfer.

Et maintenant, où est le besoin de dérouler devant vous cette scène d’amour en cinq actes qui a nom Antony ? Pourquoi relever dans ce drame le manque de situations ? C’est peut-être un mérite de plus, en un sujet pareil, que cette simplicité d’action et cette uniformité d’intérêt. M’amuserai-je à reprocher au premier acte son exposition romanesque ; au troisième, sa fin romantique ? L’une est commune, l’autre est atroce. Celle-ci est un défaut de composition, celle-là une infidélité de caractère. Quelle nécessité d’ajouter le viol au portrait d’Antony ? Adèle est trop faible pour résister ; il est trop fort pour être lâche : elle n’est pas assez pure pour ne céder qu’à la violence ; il n’est pas assez haï pour recourir à la brutalité, à moins peut-être qu’on ne l’excuse avec quelque axiome de galanterie que je ne citerai point, par respect pour le sexe. Je ne m’arrêterai pas davantage à signaler les beautés du deuxième acte, le dramatique du quatrième, et le pathétique du dernier. Tous