Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/148

Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
REVUE DES DEUX MONDES.

Il y eut des chartes d’amour qui s’appelèrent contrats, des impôts d’hymen qu’on nomma dots.

Le sentiment fut sacrifié à l’intérêt, le bonheur aux convenances.

Le faible devint la proie du plus fort ; la femme, la victime de l’homme.

Et cette proie n’avait pas de vengeur, car Dieu n’existait plus ; et cette victime n’avait plus d’espoir, car la tombe, c’était le néant.

Alors d’affreuses compensations, de honteux compromis, d’infâmes marchés.

Le divorce se glissa au cœur des époux, l’adultère dans la couche nuptiale.

Les plus hardis se séparèrent avec scandale ; les plus lâches restèrent unis dans l’infamie.

Les hospices eurent des enfans sans mères ; les ménages eurent des pères sans enfans.

Cependant la société, moins conséquente, avait continué, par habitude, d’appeler tout cela crime, au nom de Dieu, et honte, au nom des hommes.

Et ceux qu’on poursuivait ainsi se mirent à maudire la société dans leur cœur, et à blasphémer Dieu.

Interprète de ces malédictions, expression de ces blasphèmes, bientôt une voix s’éleva et retentit sur le théâtre.

J’ai parlé de gloire et de crime ; il n’y a peut-être ni l’une ni l’autre : car la voix ne fut qu’un écho, l’homme n’était qu’un instrument.

Prêtre de la passion, il fit l’apothéose de l’adultère, c’est-à-dire Antony.

Antony, bâtard, enfant perdu ; autrement il aurait appris de sa mère qu’il y a quelque chose en deçà et au delà de cette vie, et il aurait compris que, pour ne pas être conséquente, la société n’est pas absurde, et que, quoique sévère, Dieu n’est pas injuste ; — Antony, curieux comme Faust, passionné comme don Juan, fidèle comme Werther ; moins pur que le Didier de M. Hugo, aussi fataliste que le Jacques de Diderot ; qui tue sa maîtresse pour l’arracher à son époux, et la sauve de l’infamie en se déclarant assassin : — Antony enfin, un des types les plus hardis du siècle au point de vue de la passion ; — le héros de l’adultère.