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après le grand jour de la représentation. Il y a une chose plus difficile que de faire, — refaire : c’est presque toujours le cachet d’un ouvrier plus puissant ; sorte de rédemption artistique qui renferme un mystère plus grand que celui de la création.

Malheureusement, nos auteurs se corrigent trop tôt de cette habitude de patience et de travail, qui est la condition de tout mérite réel, de tout talent progressif. Comme on entoure d’entraves les premiers pas du jeune homme, il est obligé de résumer toutes ses forces dans un suprême effort, et il se signale ordinairement par un coup d’éclat. Mais, trop libre bientôt dans sa victoire, sans concurrence et sans émulation, il laisse en chemin le travail et la patience, qui ne sont pas le génie, comme disait Buffon, mais qui en sont les auxiliaires ; et après deux ou trois pas de géant, on s’étonne de ne plus trouver qu’un nain. Voilà pourquoi les succès tuent plus de talens que les revers n’en étouffent. Un poète oriental appelle la conscience l’œil du cœur : c’est aussi l’œil de l’esprit ; et de même que sans conscience morale pas d’honnête homme possible, ainsi pas de grand homme durable sans conscience littéraire.

Revenons à Christine. Malgré les corrections de cette pièce, la comédie française refusait de la jouer. M. Harel, instruit des tribulations de l’auteur de Henri iii, fit de la diplomatie de coulisses, et enleva Christine au Théâtre-Français, au profit de l’Odéon dont il était alors le directeur. La pièce fut jouée le 30 mars 1830 ; seconde campagne de M. Dumas, et seconde victoire, aussi brillante, quoique plus disputée que la première.

J’ajouterai peu de mots à ce que j’ai déjà dit sur cet ouvrage. Quand on ne tient pas la plume d’une main ferme et assurée, l’écueil de tout travail à reprises est le manque d’unité, sinon dans l’ensemble, du moins dans les détails. On peut reprocher ce défaut à Christine ; l’auteur n’avait pas encore acquis toute l’habileté de mécanisme qui le distingue aujourd’hui ; aussi, lenteur dans le développement, langueur dans l’intérêt. Le style est parfois embarrassé, dur, incorrect ; on dirait du Crébillon. Ces passages, qui trahissent la main peu exercée du jeune homme, se rapportent évidemment à une date plus ancienne que d’autres, remarquables par la pensée et l’expression. Le rôle de Paula est écrit avec un naturel délicieux et une grace charmante. Le prologue et l’épilogue