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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

scène finale du quatrième acte, une des plus heureuses créations de l’auteur.

Malgré ces chances de succès, l’administration ne se décidait pas à jouer la pièce. On renvoyait M. Dumas de tribunal en tribunal. Un beau matin, accompagné de M. Firmin, il comparut, avec son manuscrit, par-devant M. Picard, qui reçut le manuscrit, et pria l’auteur de repasser. M. Dumas revint seul. Feu Picard l’accueillit avec un sourire où il mit autant de bienveillance qu’il y en avait peu dans ses paroles. C’était par compensation, probablement.

— J’ai lu votre pièce, jeune homme.

— Vous êtes bien bon, monsieur.

— Avez-vous quelque autre moyen d’existence… que le théâtre ?

— Une place de 1500 francs au secrétariat du Palais-Royal.

— À la bonne heure !… allez à votre bureau !….

Que Dieu fasse paix à l’ame de M. Picard ! Corneille se trompa bien sur Racine ! soit dit sans comparaison ; je respecte trop Corneille et Racine.

La protection de M. Picard acheva Christine dans l’esprit de ses juges au théâtre. Après le succès de Henri iii, M. Dumas refondit son œuvre, qui s’accrut du prologue et s’enrichit de l’épilogue, que les proportions du drame ne permirent pas de jouer après la première représentation, mais qui, à la lecture, me paraît un morceau plein de caractère, d’originalité et d’élévation : — agonie de Christine, assistée par Paula, sa rivale, et confessée par son complice, Sentinelli. Dans cette seconde édition manuscrite, Paula vint montrer sa touchante figure de jeune fille à côté de la grande et royale personne de Christine ; — Paula, sœur cadette de la compagne de Lara, dans lord Byron, moins épique et moins sublime que son aînée, mais plus malheureuse et plus dramatique.

Ce serait une étude curieuse et intéressante pour la critique que de suivre ainsi, à travers les années et les progrès d’un poète, chacune de ses œuvres dans toutes ses modifications et ses transformations successives, enfant qui grandit et se développe sous l’œil et par les soins du père, avant de se produire dans le monde. La plupart des pièces de Shakspeare, génie spontané et d’un jet facile pourtant, ont été faites ainsi et refondues par la main du maître,