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humain. Tout cela nous paraît bien simple aujourd’hui ; mais c’était si hardi alors, que la critique oublia presque complètement le fond, pour ne s’occuper que de la question de forme. Dès lors pourtant, les érudits, je me sers d’une expression modérée, attachèrent leur loupe envieuse sur l’œuvre du jeune homme. Voleur comme un conquérant, il nous était revenu de l’étranger, chargé de dépouilles opimes ; elles lui furent reprochées comme des larcins par des hommes façonnés de longue main à louer tels et tels qui volaient Voltaire qui vola Racine qui vola Euripide qui vola quelque poète dont le nom n’est pas venu jusqu’à nous.

À la distance où nous sommes aujourd’hui de la polémique passionnée de 1829, nous pouvons juger cette pièce avec impartialité. J’y distingue trois faces qu’on peut apprécier séparément et dans leur ensemble : le drame extérieur, de costume et de langage, le drame historique, et le drame intérieur ou de passion. Je suis peu sensible à tout ce qu’on nous donne pour de la couleur locale, — kyrielle de noms propres, luxe de vieux jurons, richesse de friperies, qui ne masquent souvent que la faiblesse et l’indigence. Corneille et Shakspeare ne s’en souciaient guère. Ils savaient bien qu’on ne fait pas du drame avec de la généalogie et du blason, pas plus qu’on ne fait de l’histoire avec des descriptions et des dates. Aussi, de même que je n’adresserai pas d’éloges à l’auteur d’Henri III ni sur la coquetterie de son vestiaire, ni sur la richesse de son arsenal, ni sur l’abondance de son glossaire, ainsi je ne le chicanerai pas non plus sur les quelques anachronismes qui ont pu échapper à ses recherches. Il faut confronter le dramaturge, non avec du Cange, mais avec les chroniqueurs de l’époque qu’il a choisie.

C’est une grande et belle chose qu’un drame historique ! Je ne dis pas ces froides découpures d’une chronique où l’arrangeur se trame péniblement sur les pas de l’annaliste ; je ne dis pas ces insipides copies du Moniteur, où l’on découpe du drame comme des faits Paris ; je parle de ces magnifiques compositions à la Walter Scott, où, même en faisant du roman, l’on est plus vrai que l’histoire. Dans une époque plus ou moins éloignée, plus ou moins poétique, tailler un cadre que l’on resserre ou qu’on étend à sa fantaisie, grandiose comme Michel-Ange, séraphique comme Ra-