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France ; — aveugle Samson qui ne se doutait guère qu’il allait s’ensevelir lui-même sous la ruine du temple, avec ses deux bras de géant, sa littérature et sa philosophie.

En effet, tandis que, par-dessus le tombeau du patriarche de Ferney, un mouvement de philosophie croyante, chrétienne, catholique, s’est propagé de M. de Maistre, prophète du passé, à M. de La Mennais, historien de l’avenir, n’avons-nous pas vu un mouvement analogue, parallèle, s’opérer dans la littérature ? J’esquisse à grands traits pour être plus bref. Disciple de Jean-Jacques Rousseau, le poète philosophe, et de Bernardin de Saint-Pierre, le poète naturaliste, et sorti de ces deux écrivains, comme le fleuve de l’Arabie sort du Tigre et de l’Euphrate, Châteaubriand prouva, par ses leçons et par ses exemples, que la poésie procède de l’Éden pour retourner au ciel, source mystérieuse, océan de l’infini, où, tel qu’un soleil, Dieu se réfléchit sans cesse. En même temps, une femme, en qui l’originalité allemande s’était mariée au génie français, Mme de Staël, marraine et nourrice du romantisme, vint lui présenter, comme deux mamelles fécondes, la littérature allemande et la littérature anglaise. Bientôt après, moins connu, mais aussi digne de l’être, M. Ballanche refaisait et restaurait l’antiquité au profit du progrès philosophique et littéraire, et déchirant les voiles qui couvrent toutes les origines, comme les langes d’un berceau, il nous montrait la vérité dans la fable, et la poésie dans la vérité.

Cependant, héritier de la lyre d’André Chénier, précurseur et martyr, Lamartine avait rendu à l’ode, dont on avait voulu faire l’oiseau de Jupiter, les ailes blanches de la colombe. Tendre comme une espérance, vague comme l’infini, c’est le messie du sentiment. — Hugo, dans son panthéisme chrétien, avait transfiguré la matière en l’inondant de poésie, comme un fleuve qui sable d’or ses rivages. — De Vigny, mystique comme Klopstock, avait glorifié, dans ses beaux poèmes, les affections et les douleurs de l’ame. Vous le voyez, je passe, mais à regret, bien des noms remarquables, qui me pardonneront, je l’espère. Vous le voyez aussi, j’ai passé, mais à dessein, la littérature de l’empire, pâle contre-épreuve de celle de Voltaire, qui n’eut pas même la gloire de produire Delavigne, homme de talent et de conscience ; car Delavigne est une