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engagé dans une affaire personnelle avec M. Bérenger, et il annonça qu’il lui donnerait sa voix. Il paraît certain, en effet, qu’une boule noire a été déposée, de la main du maréchal, contre M. Persil, dans l’urne du scrutin.

M. Humann a voté hautement, ouvertement, comme le maréchal Soult, malgré leurs dissentimens. Cet acte honorable sera compté à M. Humann, qui doit s’empresser d’en faire encore quelques-uns semblables, s’il veut faire oublier sa fâcheuse affaire des salines de l’est dont nous avons déjà parlé.

M. le duc de Broglie, ministre des affaires étrangères, vient de se placer dans une situation à peu près semblable à celle de M. Humann. M. de Broglie est aujourd’hui propriétaire de la concession de Massevaux, dans le Haut-Rhin, grand territoire de six lieues carrées, que s’était adjugé jadis le cardinal Mazarin, et où se trouvent des mines de fer considérables. Ces biens furent séquestrés à l’époque de la révolution, et rendus du temps de l’empire. Seulement, comme des industries du même genre s’étaient développées dans le département, on imposa aux établissemens de Massevaux certaines charges qui permettaient aux autres usines de soutenir la concurrence, entre autres, celle de leur fournir des matières premières. Aujourd’hui M. de Broglie refuse de remplir ces obligations, et le conseil-d’état vient de donner gain de cause au ministre. Il n’était pas besoin de ce nouvel exemple d’indépendance du conseil-d’état pour démontrer la nécessité de sa réorganisation.

L’affaire du fameux complot républicain s’est terminée, comme on s’y attendait, par l’acquittement de M. Raspail et de ses amis. Jamais la main audacieuse et grossière de la police ne s’était montrée plus à nu que dans cette honteuse procédure. Non-seulement il a été démontré que les pièces avaient été dénaturées dans l’acte d’accusation, dont les magistrats eux-mêmes, ainsi que le procureur du roi, ont été forcés de reconnaître l’inexactitude, mais on a eu le triste spectacle d’un tribunal devant lequel on n’a pas craint de faire comparaître pour uniques témoins à charge des agens de police, des sergens-de-ville, des employés de M. Gisquet, en un mot, des hommes payés pour trouver des conspirations, et dont la délation est le gagne-pain et le métier. Les incidens de ce procès sont encore plus déplorables que le procès même. Que dire de ce malheureux jeune homme qui a été condamné à trois années d’emprisonnement pour n’avoir pu retenir son indignation en entendant de la bouche d’un magistrat une allégation qu’il savait fausse ? Que dire de l’interdiction des trois avocats des accusés pour avoir taxé de faux l’acte d’accusation, évidemment faussé ? Comment concilier tant de sévérité envers les honnêtes gens qui s’indignent, et tant d’indulgence pour les menées coupables de la police et les prévarications de l’instruction préliminaire ? Au reste MM. Michel, Dupont et Pinard, interdits dans l’exercice de leur profession, en ont appelé à la cour de cassation, et leur cause a été embrassée par tous les barreaux du royaume. Il paraît même que la cour d’assises a outrepassé ses pouvoirs en condamnant Me Dupont à une année d’interdiction ; car la loi du 17 mai 1819, que l’arrêt invoque, fixe à six mois la plus longue durée de la suspension d’un avocat qui n’est pas dans le cas de récidive. Il est assez singulier que cet arrêt ait soulevé encore une plus violente indignation en Angleterre qu’en France. Tous les journaux des trois royaumes s’élèvent en termes fort durs, et qu’il ne nous est pas permis de répéter, contre un état de choses où l’on traite ainsi une profession dont l’indépendance est respectée parmi les nations les moins libres. Le Sun, entre autres, déclare qu’un tel signe annonce la fin de la liberté, qu’on attaquera bientôt sur toutes ses faces. Que le