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Il n’était pas étonnant qu’un tel historien s’élevât contre la réforme, et qu’il se plaignît de la blessure profonde que ce grand événement a portée au catholicisme ; mais on ne peut trop s’émerveiller de le voir soutenir, en dépit de tous les faits, que la réforme était inutile. Les catholiques romains[1] ont eux-mêmes pris la peine d’attester l’indispensable nécessité d’une réforme. Leurs écrits, leurs conciles, leurs actes publics concourent au même témoignage. Pas un homme éclairé ou instruit qui, avant Knox et Luther, n’ait avoué la dissolution de mœurs qui régnait dans les couvens, l’extrême corruption du clergé, son despotisme odieux. Si l’église romaine s’était réformée elle-même ; si le clergé avait ouvert l’Évangile au peuple, s’il avait éteint les bûchers dans lesquels il précipitait les malheureux, s’il avait purifié les lieux sacrés et corrigé ses mœurs, il aurait échappé aux calamités qui le frappèrent. Lingard n’a voulu reconnaître rien de tout cela ; il a essayé de soutenir que toute la structure de l’édifice catholique, avec ses abus et ses erreurs, était le résultat nécessaire de l’Évangile. Esclave dévoué de son église, il a vu avec indifférence, même avec aversion, les efforts du peuple anglais pour conquérir la liberté. Edouard Ier, l’oppresseur du pays de Galles et de l’Écosse, a reçu ses éloges ; nos héros écossais, défenseurs magnanimes d’une cause sainte, il les a flétris du nom de traîtres. Il a soutenu que l’hommage féodal des comtés du nord envers l’Angleterre équivalait à la soumission totale et à la vassalité éternelle de l’Écosse ; et, comme s’il eût craint que l’indépendance une fois admise n’ouvrît la voie à l’indépendance religieuse, il a dénigré et ravalé la liberté civile pour opposer d’avance une barrière à la liberté de conscience.

En un mot le savant docteur Lingard, quel que soit son talent, n’est qu’un moine du xive siècle jeté au milieu du xixe. Le célibat du clergé, la suprématie temporelle de l’église romaine, la foudre papale commandant aux rois, trouvent en lui un avocat habile et dévoué. La postérité tiendra compte des préjugés de l’écrivain et ne lui assignera qu’une place inférieure, quelque talent et quelque érudition qu’il ait déployés.

  1. L’auteur, en bon presbytérien écossais ; est entré ici dans quelques détails particuliers à son pays et à son église, qui, tout intéressans qu’ils puissent être pour les personnes de sa communion, ne nous ont pas semblé se rapporter nécessairement à l’analyse exacte qu’il donne du talent et des travaux de Lingard, écrivain froid, souvent paradoxal ; avocat très partial de la cause catholique en Angleterre, mais dont la partialité trouve son excuse dans l’injustice haineuse et fanatique avec laquelle beaucoup d’écrivains protestans avaient traité leurs adversaires.