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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

l’humanité même, et l’historien, au milieu de ce concours d’élémens divers, devient et reste difficilement artiste.

En relisant Tacite, à l’occasion de l’excellent et nouveau travail de M. Burnouf, dont nous allons parler tout à l’heure avec quelques détails, nous avons été frappé combien cet homme vient se placer avec une admirable force entre l’histoire antique et l’histoire moderne, participe de toutes deux, posant sa statue et ses œuvres entre deux mondes, et semblant vouloir donner le temps aux modernes, aux Italiens et aux Gaulois, à Machiavel et à Montesquieu, d’arriver.

Tacite et Plutarque furent contemporains et consommèrent avec génie l’antiquité. L’un s’empara de l’histoire, l’autre de la biographie ; Cornelius a sur l’homme de la Béotie la supériorité du genre et du style, non que nous voulions assigner au citoyen de Chéronée un désavantage injuste ; Plutarque compense l’infériorité que nous avons relevée par l’étendue des connaissances et des secours qu’il prête à l’histoire de la philosophie et des religions ; il la compense encore par l’influence indélébile et bonne qu’il exerce sur le genre humain. Les Biographies de Plutarque sont peut-être le livre qui a le mieux mérité de l’humanité : elles sont le bréviaire des enfans qui doivent être un jour des grands hommes, aiguillon éternel, archives de la gloire, médailler toujours pur et toujours resplendissant de ces grandes effigies où l’humanité se plaît à reconnaître son image.

Quand nous songeons à Tacite, il est un préjugé qui semble venir toujours se placer entre nous et l’historien pour nous en obscurcir l’intelligence. Confusément nous voyons dans Tacite, dont la vie est peu connue, un homme sombre, malheureux, aigri, sorte de Némésis vengeresse, s’attachant aux traces de Tibère et de Néron, redresseur fatal des torts faits à la vertu, souffrant et écrivant pour elle. Une lecture nouvelle de Tacite nous a convaincu que cette représentation traditionnelle que nous nous transmettons les uns les autres, est mensongère ; et que si Tacite avait une divinité à laquelle il sacrifiait et qui le poussait, cette divinité n’était pas la vertu, mais l’art.

D’abord Tacite ne fut pas malheureux ; depuis long-temps son exil est relégué parmi les mensonges historiques. Après avoir suivi,