Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
REVUE DE VOYAGES.

au milieu d’une société peu fortunée, mais affable et sans prétentions. Beaucoup d’entre eux, séduits par les graces des demoiselles françaises, se marient, et enlèvent ainsi les plus belles fleurs pour les transplanter dans les établissemens voisins. Du reste, on ne rencontre à Pondichéry que ce qui se trouve dans toute l’Inde, des palanquins, des chars traînés par des bœufs, des cérémonies bizarres, des pagodes, des brames, des bayadères (celles qu’y a vues M. Laplace étaient de grosses et effrontées créatures), et, malgré l’heureux caractère des habitans, l’ennui auquel ne peuvent se soustraire ceux qui ne sont pas encore accoutumés à leur douce mais monotone existence.

C’est dans la superbe Madras, qui dispute à Calcutta le nom pompeux de ville des palais, que le spleen paraît avoir établi son séjour et s’être chargé de venger les Hindous de la conquête de leur pays. Vivant dans un luxe fabuleux pour l’Europe, les Anglais y succombent sous l’ennui. « En vain, dit M. Laplace, je cherchais sur les physionomies des dames anglaises une lueur de gaîté ; sur leurs figures pâles et amaigries je ne trouvais que la tristesse et le dégoût. Quelle Française voudrait acheter l’opulence qui les entoure au prix d’une semblable existence, échanger les plaisirs de la société, cette douce urbanité de nos mœurs, contre l’isolement et surtout la froide étiquette à laquelle, dans l’Inde, la vie d’une lady semble consacrée ? Une promenade dans son brillant équipage, sur le bord de la mer, vient finir une journée presque entièrement passée dans les appartemens intérieurs. En vain elle espère que l’air moins chaud du soir ranimera ses forces épuisées par la chaleur et le repos continuels ; mais non, elle rentre plutôt ennuyée que fatiguée, pour paraître, aussi pâle que le matin, à une table dont elle ne fait nullement les honneurs : le dessert l’en chasse ; et pendant que les hommes, restés seuls, passent plusieurs heures à s’enivrer, la maîtresse de la maison se retire chez elle, ou va se préparer pour une soirée, dont, suivant l’étiquette, l’invitation date d’un mois. Dans ces réunions, les figures graves et raides paraissent remplir un devoir et non pas jouir d’une agréable distraction. Les danseurs et les partners portent dans les éternelles colonnes la même gravité ; le bal conserve jusqu’à la fin la même froideur qu’au commencement. Nulle gaîté, aucun abandon ; tout