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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

lèle tâchait de ne pas bouger, par crainte d’un vertige ; et, au lieu de regarder au-dessus de lui, il voyait sans cesse à ses pieds l’immense abîme d’où il s’était si laborieusement élevé à la place qu’il occupait. Un homme saisi par cette constante préoccupation ne pouvait prendre un grand essor politique. Aussi la crainte que M. Villèle, homme nouveau, avait inspirée à M. de Metternich cessa bientôt ; il vit d’un coup d’œil tout le parti qu’on pourrait tirer d’un caractère tel que celui de M. Villèle, et se mit en devoir de le faire marcher malgré lui.

M. de Metternich avait une immense supériorité sur M. Villèle, il possédait des convictions. Il avait en outre l’avantage d’une position décidée. M. de Metternich s’est dévoué gaiement au parti de la monarchie absolue à laquelle se rattachent naturellement tous les intérêts de la caste où il est né. Ce n’est pas qu’il croie à la durée du système qu’il défend ; au contraire, il prévoit sa chute, et ne dissimulait pas au congrès de Vienne, qu’on en avait bien tout au plus pour vingt ans ; mais il accepte franchement la chance de s’ensevelir sous les ruines de l’édifice qu’il soutient, et ne regarde jamais autour de lui pour voir s’il ne pourrait se ménager une issue secrète. Doux et conciliant, M. de Metternich devient impitoyable et cruel quand ses projets sont menacés. Comme il sait très bien qu’il risque sa tête au jeu, il ne ménage pas celles de ses adversaires, et signe un arrêt de mort ou d’éternelle détention avec l’amabilité de ce prince d’une tragédie de Lessing, qui disait en pareil cas en prenant la plume que lui tendait son chancelier : « avec plaisir ! » Le despotisme a trouvé en lui un défenseur froid, mais sûr, qui ne s’emporte pas, qui ne s’épuise pas en frais d’éloquence ; mais qui dit aux juges : «  La cause de mon client est la mienne ; si vous le condamnez, condamnez-moi avec lui. » Il ne gagnera peut-être pas le procès, mais il l’aura fait durer long-temps, du moins ; et il ne s’esquivera pas à l’heure décisive.

De son côté, M. Canning avait aussi parfaitement deviné M. Villèle ; mais il était poète, c’est-à-dire d’une race irritable, et philosophe whig, quoiqu’il différât de principes avec M. Hume et sir Robert Wilson, toto cœlo, comme il le disait dans son langage classique. Or, il n’était pas dans la nature d’un tel homme d’agir comme un diplomate allemand. Canning s’était fait le chevalier