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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

blessures reçues sur le champ de bataille. M. Corbière était aussi opiniâtre que M. Villèle l’était peu ; car M. Villèle ne voyait que le résultat, et peu lui importait la route qui devait y conduire. Il comptait ses ennemis, les haïssait et les persécutait, tandis que M. Villèle fermait les yeux et ne haïssait personne, parce qu’il savait très bien que dans un système politique comme le sien, l’ennemi de la veille pouvait être l’ami du lendemain. Enfin M. Corbière s’était laissé échauffer au jeu qu’il avait d’abord joué par calcul et par circonstance. L’opposition lui donnait des transports de rage, et la presse le mettait hors de lui ; il eût voulu la traiter tout entière comme il traita Magalon ; et sous sa paupière à demi endormie, sous ces façons insouciantes et bonasses, avait germé une sorte de férocité qui embarrassa souvent son ami Villèle, l’homme des voies détournées, des moyens conciliateurs et des transactions douces. On voit que l’association de ces deux hommes n’était fondée ni sur une parité de vues, ni sur une conformité d’humeurs. Elle dura long-temps toutefois, parce que le hasard ne sépara pas leurs intérêts ; mais ils avaient une trop haute opinion l’un de l’autre pour douter qu’aucun d’eux eût jamais hésité à sacrifier l’attachement qu’il professait pour son ami, à la moindre combinaison politique. L’un des deux n’en pouvait douter du moins, car vingt fois, pendant son ministère, M. Villèle fit offrir à ceux de ses adversaires qu’il voulait apaiser, le portefeuille de son collègue Corbière.

Les amis de M. Villèle étaient en majorité à la chambre, le discours du trône était soumis par les ministres à son approbation, et Louis xviii ne connaissait pas encore personnellement M. Villèle, tant celui-ci mettait de sobriété et de retenue dans ses démarches. Un jour enfin, M. de Richelieu écrivit à M. Villèle que le roi voulait le voir. La conférence fut singulière. M. Villèle vint accompagné de son ami Corbière. Louis xviii, le gentilhomme le plus aristocrate de sa cour, reçut d’abord avec froideur et presque avec une nuance de dédain ces deux représentants bourgeois du parti aristocratique. Quelques momens auparavant, le roi avait parlé malignement à ses intimes de la tournure et des prétentions de M. de Cazalès à l’assemblée nationale. À la vue de M. Villèle et de son collègue M. Corbière, il redoubla de cette dignité hautaine qu’il affectait presque toujours, et leur demanda, non sans