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serments ? Il y eut beaucoup de bruit et de colère. Les ministres qui se trouvaient là protestèrent, la main sur le cœur, de leur attachement à la constitution ; l’opposition gronda et fit entendre sa voix menaçante, et la lutte s’engageait avec acharnement entre les deux partis, quand M. Villèle, qui siégeait au banc des ministres, comme membre du conseil, sans titre et sans portefeuille, vint poser ses coudes sur la balustrade de marbre de la tribune, avec cette nonchalance et cette froideur qui le distinguaient de ses collègues, les députés du midi. Je vis alors, pour la première fois, ce petit corps maigre, affublé d’un habit bleu brodé d’argent, et cette longue figure jaunâtre où l’on ne distinguait, à quelque distance, qu’un nez en saillie, grotesquement recourbé vers la bouche, et la cachant si bien, qu’il semblait usurper ses fonctions et produire seul une parole saccadée et nasillarde, à laquelle on avait quelque peine à s’habituer. On l’écouta avec beaucoup de déférence. M. Villèle était déjà une puissance morale. Il dirigeait, avec son ami M. Corbière, une grande partie du côté droit de la chambre, et, depuis peu de temps, il s’était introduit presque de vive force dans le conseil, d’où l’avait repoussé jusqu’alors le défiant duc de Richelieu. M. Villèle ne se fâcha pas, ne s’irrita pas, ne parla pas de ses sermens, ne se montra pas offensé pour sa part, parce qu’on soupçonnait la chambre de se prêter à la violation de la charte ; il fit seulement observer que les questions que plusieurs orateurs avaient élevées à propos de cette pétition, devaient venir dans la discussion du budget, que ce n’était ni le jour ni l’heure de s’échauffer ainsi, et d’un ton très naïf, très simple, demanda la clôture. Vous avez vu quelquefois l’effet d’un seau d’eau froide lancé au milieu d’un combat de dogues. M. Villèle produisit cet effet-là.

Casimir Périer seul, ce volcan toujours bouillant, ne s’apaisa pas sous cette pluie de paroles glacées. Il s’élança à la tribune que gravissait en même temps le général Donadieu. Tandis que d’un côté s’élevait tout à coup la tête noire et crépue qui surmontait cette haute stature, de l’autre côté se montra le visage colère et hautain de Périer ; et M. Villèle, sans perdre rien de son calme, se trouva entre les deux orateurs les plus fougueux de la droite et de la gauche. Madame de Staël, parlant de Cambacérès adjoint au consulat de Sièyes et de Bonaparte, disait que c’était du coton