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il de gagner la terre, lorsqu’un requin de taille gigantesque fut jeté par la mer sur le rivage. Il était complètement privé de vie, et fut aussitôt tiré par les Hindous hors de portée des lames. Le spectacle qu’il offrait était effrayant et témoignait de la lutte horrible qui avait eu lieu entre ce tyran des eaux et le malheureux père. Celui-ci en avait tiré en effet une vengeance éclatante.

Le monstre portait sur son corps de nombreuses et profondes blessures, de l’une desquelles sortaient ses entrailles. On voyait que le couteau avait été plongé dans son ventre et ramené vers la queue avec une précision admirable, de manière à lui faire une immense blessure longue de près d’une aune. Il y avait aussi plusieurs incisions profondes près des nageoires et des branchies ; en un mot, il est impossible de décrire les preuves redoutables que présentait le monstre de l’adresse et de la vigueur de son intrépide ennemi, qui avait si courageusement exposé sa vie pour venger la mort de son fils unique, ainsi qu’on le sut plus tard. Aussitôt que le requin fut en lieu de sûreté, on l’ouvrit, et alors on retira de son estomac la tête et les membres de l’enfant. Le corps avait été complètement coupé en morceaux, sans toutefois que les membres fussent très mutilés. On voyait qu’ils avaient été engloutis sans subir le procédé ordinaire de la mastication. Quand le père vit les restes épars de l’objet de son affection, la froideur habituelle de l’Hindou fit place au désespoir du père, et il s’abandonna un instant à toute l’agonie d’un cœur déchiré. Il se jeta sur le sable et pleura amèrement ; mais bientôt, reprenant son calme accoutumé, il déroula son turban dégouttant d’eau, et y ayant recueilli les restes sanglans de son fils, il les porta dans sa chaumière, faite de bambous et de feuilles de palmiers, et se prépara à les brûler suivant l’usage du pays.

Lorsqu’on lui demanda les détails de son combat avec le requin, il raconta qu’aussitôt après avoir plongé, ce qu’il avait fait un instant après que l’enfant avait été entraîné par son redoutable ennemi, il avait aperçu le monstre dévorant sa victime. Il se dirigea aussitôt sur lui et le frappa de son couteau près des nageoires. En ce moment, l’animal avait achevé d’engloutir sa proie, et ne parut nullement disposé à engager le combat auquel il venait d’être si rudement provoqué. Avant reçu un second coup aux nageoires, il s’éleva à la surface de l’eau, suivi de son assaillant qui lui plongea son couteau dans différentes parties du corps. Le monstre se retourna plusieurs fois pour saisir son adversaire, qui plongea sous lui pour l’éviter, en redoublant ses coups. La voracité du requin avait été si complètement apaisée par le repas qu’il venait de faire, qu’il se montrait peu disposé à continuer la lutte ; mais enfin, réveillé par les entailles que lui faisait le terrible couteau, il commença une résistance désespérée, et se retourna de nouveau, quoiqu’avec moins d’activité que ses pareils n’en montrent quand ils sont affamés ; mais l’homme plongea encore une fois, et saisissant le moment où le requin reprenait sa position ordinaire, il lui plongea son couteau dans le ventre en ramenant l’arme à lui de toute sa force, lui faisant ainsi cette blessure mortelle qu’il montrait à tous les regards. Après l’avoir reçue, l’animal s’agita d’une manière terrible et s’enfonça sans donner aucun signe de vie. L’Hindou, voyant le combat terminé, nagea vers la terre, comme je l’ai dit plus haut, et presque au même instant le cadavre du monstre fut rejeté sur la grève.

Près de cinq mille exemplaires de l’Oriental annual ont été enlevés à Londres en moins de deux mois ; il a déjà eu aussi les honneurs de la traduction.

Le libraire Baudry a importé également un magnifique Landscape anglais pour cette année. C’est un livre désespérant pour nos éditeurs, tant il éclate de beauté et de magnificence. Les vignettes du Landscape, gravées par Harding, Higham et les meilleurs graveurs de l’Angleterre, représentent des vues de France. Celles qui retracent une vue de Thiers, dans le Puy-de-Dôme, et d’Aurillac, sont des chefs-d’œuvre presque sans prix.

F. BULOZ.