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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

seulement on devait dominer l’Italie par cette menace, mais répandre l’inquiétude au cœur même de l’Autriche. Il faut savoir que Trieste, où s’est réfugié le commerce du Levant, est aujourd’hui le comptoir de Vienne. Depuis le prince hongrois, qui ne sait que faire de ses richesses, jusqu’à la laborieuse servante qui amasse péniblement ses gages, il n’est pas d’habitant de cette paisible et opulente capitale qui n’ait déposé chez les marchands de Trieste quelque somme d’argent. Là, les intérêts sont exactement payés, le taux en est élevé ; et on les emploie si bien, qu’ils enrichissent ceux qui se chargent de les faire valoir. Jugez de l’effroi de Vienne, en apprenant que les Français venaient de débarquer à Ancône ! Pendant plusieurs jours, on s’attendit à chaque moment à recevoir la nouvelle de leur arrivée à Trieste, et à apprendre qu’ils y avaient levé cinquante millions de contributions. Il se passa quelque temps avant que l’Autriche, attaquée dans son crédit, se remît de cette secousse. Enfin les capitalistes se calmèrent ; mais M. de Metternich songea avec anxiété que, grace à cette démonstration, une guerre entre la France et l’Autriche ne commencerait plus à Nice et dans les défilés de la Lombardie, comme celles de Bonaparte, mais à Rome même, et dans la partie des possessions autrichiennes la moins défendue. Peu de gens surent alors l’impression que l’expédition navale d’Ancône avait produite à Vienne ; mais M. Sébastiani en connaissait toute la portée. En habile diplomate, il en laissa la gloire et la périlleuse responsabilité à Casimir Périer.

Le rôle brillant que joua M. Sébastiani dans cette affaire ne se borne pas aux conseils qu’il donna à Paris. Quelque temps après, il arriva à Rome. Abattu, souffrant comme il l’était, pouvant à peine laisser tomber quelques paroles de sa bouche pendante, il fit, en peu de jours, plus pour la France, qu’il n’avait fait dans toutes ses campagnes et ses ambassades, au temps où il était rempli de vigueur et de jeunesse. Deux entrevues qu’il eut avec M. de Saint-Aulaire firent changer toute notre politique et donnèrent une direction plus habile aux négociations qui furent appuyées par des démonstrations qu’on avait l’air de tenir secrètes. Ainsi nos navires qui stationnaient dans l’Adriatique furent dès-lors constamment employés à étudier, la sonde à la main, la navigation de ces eaux