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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

récuserait pas l’autorité, qu’il eût été facile, au contraire, de manœuvrer autour d’Almanacid ; de passer à droite ou à gauche à la vue même de l’ennemi, qui n’eût pu l’empêcher, de prendre position sur ses derrières en coupant la grande route, par laquelle seule il pouvait fuir, et d’attendre le corps Dessoles, qui arrivait, et dont la présence mettait Vénégas entre deux corps formant près de trente mille hommes. En suivant ce plan, le général Sébastiani eût forcé Vénégas à mettre bas les armes, et il se fût emparé de toute la division espagnole sans perdre un des siens. Le général Sébastiani fit, au contraire, attaquer le taureau par les cornes, comme on dit, et en cela, il agit avec plus de bravoure que d’habileté ; car une telle manœuvre devait lui faire tuer beaucoup de monde inutilement. Ce furent les Polonais et la division hollandaise qui furent lancés les premiers contre les Espagnols, et ceux-ci s’enfuirent ayant à peine laissé cent morts ou blessés sur le terrain. Almanacid fut enlevé au pas de charge ; et cette affaire, bien que peu importante, ne laissa pas que de faire honneur au général Sébastiani et à son corps d’armée. J’ai sous les yeux deux rapports relatifs à cette affaire : dans le premier, l’état des pertes du 4e corps donné par son chef d’état-major, qui diminue la perte suivant l’usage, s’élève à deux mille deux cent seize hommes tués ou blessés, dont soixante-neuf officiers ; dans l’autre rapport, ce chiffre s’élève à deux mille quatre cent soixante-dix-huit. « Cette perte est grande, dit ce rapport ; mais le succès est si glorieux et si décisif, qu’elle restera inaperçue au milieu de tant de gloire. »

Dans son rapport au ministre, M. Sébastiani dit emphatiquement que tout est culbuté et détruit, qu’il n’y a plus d’armée espagnole, qu’il a pris trente-cinq pièces de canon, deux cents caissons, mille chariots, deux mille prisonniers ; qu’il est resté deux mille morts sur le champ de bataille, et qu’on poursuit l’ennemi l’épée dans les reins ! Ce compte rendu est unique en son genre ; on croirait lire le récit de la bataille de Marengo, mais il ne faut pas vous étonner de cette fantastique énumération : je vous ai déjà dit que M. Sébastiani avait sévèrement défendu à ses aides-de-camp de le troubler dans ses rêves.

Le fait, le fait exact est que Vénégas, ayant lâchement cédé pied, s’enfuit par la route qu’on lui avait laissée libre, et qu’il ne