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mission auprès de Benjamin Constant, qui se cachait dans Paris. M. Sébastiani réussit complètement dans cette importante ambassade. Benjamin Constant ne put résister à son éloquence, et consentit à le suivre aux Tuileries, où il fut employé à modifier les constitutions impériales. C’est ainsi qu’on doit, indirectement il est vrai, à M. Sébastiani, le fameux acte additionnel.

Je n’ai à vous parler ici que de l’homme d’état, et je puis me dispenser de suivre le général dans ses campagnes en Espagne, en Russie, en Allemagne, où les divisions qu’il commandait ne l’apercevaient guère qu’au fond d’une moelleuse calèche, enveloppé d’une riche pelisse turque, et livré à ses rêveries avec toute la douce quiétude d’un pacha sur ses coussins de soie. Brave et brillant devant l’ennemi, mais mou et insouciant, le général Sébastiani faisait ces grandes et rudes guerres de l’empire comme les beaux généraux du temps de Mme de Pompadour ; et quand un jour ses caissons tombèrent au pouvoir des Russes, on dut croire, en les examinant, qu’ils avaient été perdus dans les plaines de l’Allemagne, du temps des campagnes du Palatinat ou du Hanovre, par Soubise ou Richelieu, et non par un soldat de Napoléon. Ce goût de bien-être et ce péché de mollesse ne pouvaient s’accorder avec les devoirs si actifs de la vie militaire. La toilette, les repas et le sommeil du général Sébastiani occupaient si bien ses nuits et ses jours, qu’il lui restait bien peu de temps à donner à l’ennemi, et nous avons lieu de croire qu’à la malheureuse affaire de Drissa, où il fut surpris par les Russes, il ne dut sa défaite qu’au cérémonial qu’on observait autour de sa personne. Nul officier n’avait le droit d’entrer la nuit dans la tente du général, lorsqu’il était couché, et quand on se transmit les premiers indices de l’approche des Russes, il ne se trouva pas un homme assez osé pour enfreindre cette défense. L’élégance de mœurs du général Sébastiani coûta cher à son corps d’armée qui fut chassé et canonné par les Russes pendant plus d’une heure. Heureusement, un autre corps, commandé par un général moins jaloux de son repos et moins vétilleux sur l’étiquette, arriva à temps pour prévenir une complète déroute.

L’empereur ne prenait pas toujours en patience la défaite du général Sébastiani, et ce grand et terrible capitaine ne se borna pas sans cesse à une simple remontrance ou à un bon mot, comme au jour