Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/697

Cette page a été validée par deux contributeurs.
693
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

à donner créance à certaines rumeurs ; à croire que l’amour de la science, sans doute, retint un moment dans ce lieu quelques étrangers, et les porta à feuilleter de précieux korans qui restèrent ouverts désormais sans pouvoir plus jamais se refermer. Ce serait une tache, et la défense de Constantinople est trop belle pour la laisser ternir par ces tristes imputations.

C’était, m’a-t-on dit, un curieux et pittoresque spectacle. Près d’Ingerlu-Kiosk, dans la batterie de la grande terrasse du sérail, on voyait un homme d’une haute taille, à l’œil bleu, vif et fin, qui encourageait quelques topchys à traîner un lourd canon turc. À deux pas de là, un jeune homme, vêtu d’un uniforme rouge brodé, l’écouvillon sur l’épaule, faisait faction à l’entrée de la batterie, aidé en cela par deux personnes impassibles et graves. L’un était le comte de Pontécoulant, membre du sénat impérial, aujourd’hui l’un des plus spirituels orateurs de la chambre des pairs et des salons de Paris ; l’autre, le brillant marquis d’Alménara, qui se plaisait à railler sans cesse M. Sébastiani de ses prétentions, mais qui cette fois, suivi de ses secrétaires d’ambassade, était venu le seconder avec loyauté et courage. Là on voyait aussi, affublés du sac de cuir, et faisant le service de simple canonnier, les secrétaires d’ambassade de France, MM. Lablanche et Latour-Maubourg. M. de Lascours, aide-de-camp du général Sébastiani, commandait un poste d’artilleurs turcs ; plusieurs officiers d’infanterie, arrivés tout récemment de Dalmatie, parcouraient toutes les batteries de la côte, et le chargé d’affaires de Hollande, en souliers à boucles et en bas de soie, était venu s’asseoir flegmatiquement sur le quai du sérail, et encourageait au travail les Grecs et les Juifs, à force de ducats. Ce tableau était complété par la présence du sultan, suivi de tout son divan et accompagné par le général Sébastiani couvert de son plus brillant uniforme et dans tout l’éclat de sa parure militaire. Sélim examinait tous les travaux, établissait lui-même, dans les batteries les plus découvertes, chacun de ses ministres et les employés de leurs chancelleries, s’assurait de la portée des pièces, du calibre des boulets et il ne prit un peu de repos que lorsque plus de douze cents bouches à feu, régulièrement placées, eurent assuré la défense de son palais et de sa capitale, et forcé la flotte anglaise de reprendre le large.