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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

sans hésiter un moment entre ses deux frères devenus ennemis, se rangea du côté de l’offensé, soit que les mœurs nationales lui en fissent une loi, soit que le crime odieux et lâche du roi Hilperik l’eût, pour ainsi dire, mis au ban de sa propre famille. La guerre fut aussitôt déclarée, et les hostilités commencèrent, mais avec une ardeur inégale de la part des deux frères armés contre le troisième[1]. Excité par les cris de vengeance de sa femme Brunehilde, qui avait sur lui un empire absolu, et dont le caractère violemment passionné venait de se révéler tout à coup, Sighebert voulait pousser le combat à outrance ; il ne reculait pas devant la pensée du fratricide : mais Gonthramn, soit par une inspiration chrétienne, soit par la mollesse de volonté qui lui était naturelle, ne tarda pas à quitter son rôle de co-assaillant pour celui de médiateur. À l’aide des prières et de la menace, il détermina Sighebert à ne point se faire justice, mais à la demander pacifiquement au peuple assemblé selon la loi[2].

En effet, d’après la loi des Franks, ou pour mieux dire, d’après leurs coutumes nationales, tout homme qui se croyait offensé avait le choix libre entre la guerre privée et le jugement public ; mais, le jugement une fois rendu, la guerre cessait d’être légitime. L’assemblée de justice s’appelait mâl, c’est-à-dire conseil, et, pour y exercer les fonctions d’arbitres, il fallait appartenir à la classe des possesseurs de terres, ou, selon l’expression germanique, à la classe des hommes d’honneur ari-mans[3]. Plus ou moins nombreux, selon la nature et l’importance des causes qu’ils avaient à débattre, les juges se rendaient en armes à l’assemblée, et siégeaient tout armés sur des bancs disposés en cercle. Avant que les Franks eussent passé le Rhin et conquis la Gaule, ils tenaient leurs cours de justice en plein air, sur des collines consacrées par d’anciens rits religieux. Après la conquête, devenus chrétiens, ils abandonnèrent cet usage, et le

  1. Post quod factum, reputantes ejus fratres quòd sua emissione antedicta regina fuerit interfecta, eum de regno dejiciunt. Gregorii Turon., lib. IV, apud script. rerum francic., tom. 2, pag. 217.
  2. Adriani Valesii rerum francicarum, lib. ix, pag. 26.
  3. Cette classe d’hommes est encore désignée dans les lois et les actes publics par le nom de Rokin-burs, Rachimburgii, Rachimburdi, riches domaniers.