Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/631

Cette page a été validée par deux contributeurs.
627
LITTÉRATURE ANGLAISE.

trouve dans sa prose ces images vives et condensées, cette rapidité et cette facilité de style qui ont appartenu à tous les bons poètes devenus bons prosateurs. Comme auteur tragique, elle a eu son triomphe, et selon l’expression singulière et pittoresque du poète Cowper, elle a pu voir avec joie un amphithéâtre de visages humides garnir la salle de Drury-Lane, où ses tragédies étaient représentées. Ritchie, l’un de nos plus sévères critiques, exceptait miss Mitford de l’anathème général qu’il jetait sur notre époque. Il me disait, peu de temps avant de mourir : « Marie Mitford parle à mon cœur et à mon intelligence. Ses paysages et ses acteurs ne sont pas d’un autre monde. Presque tous les autres peintres de la nature anglaise se contentent de jeter au hasard l’ombre et la lumière, l’éclat et l’obscurité. Chez elle, je retrouve le sol anglais et l’homme d’Angleterre ; aussi je l’honore profondément. »


Théodore Hook[1] est aussi vrai dans son genre que miss Mitford l’est dans le sien. Il ne lui ressemble qu’en cela. Il est citadin. Tous les goûts de miss Mitford sont rustiques. Les pages de Hook offrent le miroir complet de la vie de Londres : affectations de toute espèce, recherches, frivolités, vanité bourgeoise ; tout ce qu’il y a de factice et d’artificiel dans la cité, dans Grosvenor-Square et Pall-Mall, fausses politesses, faux toupets, embonpoint mensonger, prétentions ridicules, simulacres de bon ton et de bon goût ; le gros négoce de Londres enfin, son économie systématique et ses accès d’ostentation, sa morgue et ses faiblesses. Toutes ces misères ont en lui un fidèle analyste. Il n’a pas fait de grands frais d’imagination pour inventer ses fables, souvent confuses, obscures, mal liées ; sa narration marche au hasard : elle suit une route sinueuse, brisée, incertaine ; elle ne doit de prix qu’aux caractères vrais qui l’animent et qui s’y jouent.

Mais aussi voyez comme il saisit, comme il explique, comme il dégage de toutes ses enveloppes le riche marchand de la cité ; comme il le tourne, le retourne, lui ôte sa cravate et son habit, vous ouvre son portefeuille, vous associe à toutes ses craintes, à toutes ses espérances, basées sur son

  1. Sayings and doings (Ce qu’on dit et ce qu’on fait), tel est le titre d’un recueil de contes ou de petits romans, qui a fondé la réputation de Hook. Il a reproduit très minutieusement et très fidèlement les mœurs de la bourgeoisie qui s’enrichit, les prétentions de la demi-aristocratie qui se trouve suspendue entre le comptoir qui lui sert de piédestal et les mœurs élégantes qu’elle essaie d’atteindre. Tous ces écrivains, miss Mitford, Hook, Mme d’Arblay, etc., se rapprochent des peintres hollandais par la finesse et quelquefois par l’éclat, mais aussi par la puérilité de leurs peintures.