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venue, sermonaire violente, nous dire d’une voix terrible que nous sommes tous damnés, que le gouffre de l’enfer est là béant devant nous, et que la trompette du jugement dernier sonne ?

Non, non, sa muse n’est ni fanatique, ni inexorable. Elle se promène dans les petites rues du hameau, elle fait une excursion dans les champs fleuris, elle se perd sous l’ombre des vieilles allées verdoyantes, elle entre dans la cabane du vigneron dont le toit fume au-dessus des arbres ; elle vient s’asseoir, paisible, riante, au milieu des enfans joufflus et roses, au coin de la vieille cheminée noircie, auprès de la bonne femme qui file. Elle jette sur tout ce spectacle rustique un coup-d’œil bienveillant. Puis elle revient ; elle rentre dans le hameau, donnant un regard sur sa route aux épis qui se balancent, au berger sous son arbre, au villageois qui suppute le gain probable de sa moisson, aux jeunes gens qui font voler loin d’eux la boule retentissante, et au tavernier qui polit sur le pas de sa porte les brocs d’étain que remplira bientôt l’ale savoureuse. Sous le portique du château, voici le vieux seigneur qui sort pour aller examiner ses arbres séculaires que la hache doit bientôt abattre. Après un moment de causerie sur le bon vieux temps, elle le quitte, et je suis sûr que le lendemain matin la plupart de ses vassaux recevront du gibier, des fruits, une éclanche, un petit cadeau de leur propriétaire. C’est ce caractère de bienveillance et de philanthropie réelle qui nous charme dans les ouvrages de miss Mitford. Tout ce que l’Angleterre a conservé de saveur antique, de bonhomie patriarcale, miss Mitford l’a saisi. Elle nous a vengés des accusations de Crabbe[1].

C’est un auteur modeste, mais vrai, qui n’aime pas les rudes contrastes et les effets étudiés ; qui se contente de vous montrer le cœur du paysan et du pauvre dans sa réalité ; qui vous introduit à la veillée ; qui vous mène au milieu des glaneuses et des moissonneurs ; dont le coloris est pâle et doux sans être triste ; qui jamais n’a prétendu à la grande poésie et à l’élévation dithyrambique, qui n’a jamais reproduit de douleur fantastique ni créé d’héroïnes à grands sentimens, soupirant à la clarté de la lune et cherchant leur idéal dans les nuages. Il lui suffit d’être sensible et naïve, d’établir dans ses petits tableaux une unité parfaite, une complète harmonie. Douée d’un bon sens exquis, d’une pénétration vive, mais sans malice, et de ce talent admirable qui met tous les évènemens à leur place, tous les personnages dans leur attitude propre, elle a beaucoup d’art, mais un art caché, paisible et discret.

Ses premiers succès ont été dus à quelques poésies gracieuses. On re-

  1. Voyez la biographie de G. Crabbe, dans la première partie de cet article.