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Dans ces termes, M. Laffitte se sentant vieux et ne voulant pas, pour son repos, pour celui de sa famille, rester sous le poids d’une obligation qu’on lui faisait cruellement sentir, offrit à la banque de lui abandonner tous ses biens, pour qu’elle se payât de ses propres mains. Les biens qu’il lui confiait consistaient en valeurs mobilières estimées douze millions et en six millions de terrains immeubles ; ils étaient destinées à payer, même avant les termes convenus dix millions que M. Laffitte devait en tout à la banque. M. Laffitte ne demandait qu’une chose, c’est que la banque voulût bien renoncer à la garantie du roi. Un débiteur qui offre tout ce qu’il possède et plus qu’il ne doit, est toujours bien accueilli, ne se nommerait-il même pas Laffitte. La banque consentit à traiter sur ces bases. Elle se chargeait de se défaire lentement et le plus avantageusement possible de ces gages qu’on lui offrait, et dont une vente subite et forcée eût diminué la valeur ; mais agissant pour des tiers, c’est-à-dire pour ses actionnaires, elle ne pouvait renoncer à la garantie du roi, quelque surabondante qu’elle pût être. Elle consentit toutefois à la réduire de six millions à deux millions. Le roi refusa.

« Vous voulez réduire ma garantie de deux tiers, à la condition de traiter à l’amiable avec M. Laffitte, répondit la liste civile ; les biens du débiteur vous paraissent suffisans et au-delà pour répondre de vos créances, et vous ne me demandez, dites-vous, ce reste de garantie que pour satisfaire aux droits de vos actionnaires. Cette garantie, je refuse de la donner. Discutez, expropriez M. Laffitte, voilà ses biens, je les dénonce. Saisissez, dénaturez ces biens, je fournirai l’argent nécessaire pour les faire vendre à la moitié, au quart de leur valeur ! » Et quelques jours après, l’hôtel et tous les domaines de M. Laffitte étaient en vente. Cette vente faite avec lenteur et sagesse eût produit cinq millions. Elle en produira trois, et la liste civile en aura encore deux à cautionner. Un esprit financier aussi juste que celui qui régit la liste civile, devait être bien aveuglé par la haine quand il calcula si mal ses intérêts.

La situation de M. Laffitte, autant que nous pouvons l’établir, n’est cependant pas aussi fâcheuse qu’on le pense ou qu’on le voudrait. Il devait treize millions à la banque. Sur cette dette, cinq millions six cent mille francs, échus en 1831 et 1832, sont payés ainsi que neuf cent quarante mille francs pour intérêts. La vente de l’hôtel de M. Laffitte et des biens discutés couvrira les trois millions qu’il devra au 31 décembre, et pour faire face au dernier paiement de trois millions, il lui restera les six millions de valeurs mobilières dont la banque offrait de se charger, avant que la liste civile s’opposât à ses bonnes dispositions. Il y a donc lieu de croire que M. Laffitte ne tardera à être libéré envers la liste civile, et qu’il ne restera de tous les efforts qu’on a faits pour le perdre, que les décombres de son hôtel, exposés à tous les yeux comme une moralité parlante.

Il paraît que les rois élus n’aiment pas à se rappeler l’origine de leur grandeur. Le roi de Suède, blessé au vif par un vaudeville joué sur le théâtre du Palais-Royal, et intitulé le Camarade de lit, où il était question de ses campagnes républicaines, a demandé le rappel de notre ambassadeur, M. de Saint-Simon, l’un des plus braves officiers de notre armée, qui avait servi sous le prince de Ponte-Corvo. Aujourd’hui le roi de Suède supprime les journaux qui le choquent, et refuse d’exécuter les décrets d’organisation des états provinciaux de son royaume. Il fut un temps où le général Bernadotte, alors en Allemagne, tirait son sabre au moment de se mettre à table, et coupait sans pitié la nappe où se trouvaient des images de rois. Ce démagogue forcené est devenu un excellent roi, un véritable