Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/618

Cette page a été validée par deux contributeurs.
614
REVUE DES DEUX MONDES.

— Oui, vous entrez au secrétariat du duc d’Orléans, comme surnuméraire aux appointemens de 1,200 francs, ce n’est pas grand’chose, mais c’est à vous de bien travailler.

— C’est une fortune ; Et quand serai-je installé ?

— Aujourd’hui même si vous le voulez.

— Et comment se nomme mon chef ?

M. Oudard ; vous vous présenterez chez lui de ma part.

— Permettez-vous que j’annonce cette bonne nouvelle à ma mère ?

— Oui ; mettez-vous là, vous trouverez ce qu’il vous faut.

Je lui écrivis de vendre ce qui nous restait, et de venir me rejoindre. 1,200 francs par an me paraissaient une somme inépuisable. Lorsque j’eus fini, je me retournai vers le général, il me regardait avec un air de bonté inexprimable. Cela me rappela que je ne l’avais pas remercié. Je lui sautai au cou et je l’embrassai. Il se mit à rire.

— Il y a un fond excellent chez vous, me dit-il ; mais rappelez-vous ce que vous m’avez promis, étudiez.

— Oui, général, je vais vivre de mon écriture, mais je vous promets de vivre un jour de ma plume.

— En attendant, déjeunons, il faut que j’aille à la Chambre.

Un domestique apporta une petite table toute servie dans le cabinet ; nous déjeunâmes en tête-à-tête. Aussitôt le déjeuner fini, je quittai le général. Je ne fis que deux bonds de la rue du Mont Blanc au Palais-Royal. Décidément la balance du bien reprenait le dessus.

M. Oudard me reçut avec une affabilité si grande, que je vis bien que ce n’était pas à mon mérite personnel que je la devais : il m’installa dans un bureau où travaillaient déjà deux autres jeunes gens qui devinrent dès lors mes camarades, et qui, aujourd’hui, sont mes amis.

Je songeai aussitôt à tenir ma promesse et à étudier sérieusement. Je savais assez de latin pour suivre seul les études de cette langue. J’achetai avec ce qui me restait de mes cinquante-trois francs, un Juvénal, un Tacite et un Suétone. J’avais toujours eu beaucoup de goût pour la géographie, je me fis une récréation de son étude. Je connaissais un jeune médecin, je le priai de me conduire à la Charité