Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
MÉLANGES.

habiles par excellence en tout ce qui concerne les serpens, et c’est en effet dans les parties du continent américain où les nègres sont le plus nombreux, qu’on a le plus d’antidotes et de préservatifs contre les morsures de ces reptiles. Il y a quelque raison de croire que plusieurs des pratiques employées dans ce cas ont été dans l’origine introduites par eux et importées de leur première patrie ; ce qui est certain, c’est qu’à l’époque du voyage de Cadamosto, près d’un demi-siècle avant la découverte de l’Amérique, les habitans de la Sénégambie usaient de procédés mystérieux pour écarter de leurs demeures les serpens, et que leurs sorciers passaient même pour doués du pouvoir d’attirer à volonté ces animaux. Peut-être toute la sorcellerie consistait-elle dans la connaissance d’un fait déjà indiqué par les naturalistes anciens, et que les observations des modernes ont mis hors de doute : c’est qu’on peut attirer aisément certains serpens et particulièrement l’haje (aspic de Cléopâtre) en imitant la voix de leur femelle. C’est en usant de cet artifice que les gens qui font en Égypte métier de prendre les serpens cachés dans les maisons parviennent à les faire sortir de leurs trous. Il est vrai que comme ces hommes ne sont payés qu’après avoir réussi, et qu’ils sont appelés quelquefois dans des maisons où il n’y a réellement pas de serpens, ils ont soin d’en apporter toujours quelques-uns cachés dans leurs vêtemens pour les faire paraître lorsqu’ils n’attendent plus rien de leurs recherches.

Les curanderos d’Amérique connaissent aussi ce secret et l’emploient au besoin, comme le prouve le fait suivant que je tiens d’un témoin oculaire, M. Castillo, ancien ministre des finances de la république de Colombie.

Se trouvant un jour dans une ville de la côte, M. Castillo parlait en présence de plusieurs habitans des expériences de Mutis et de la reconnaissance qu’on devait à ce savant pour avoir répandu une découverte si importante. — La chose, dit son hôte, ne valait pas la peine qu’on en fît tant de bruit. Long-temps avant qu’on ne la vantât dans les gazettes, cette inoculation se pratiquait ici, mais seulement parmi les hommes qui en ont véritablement besoin, parmi ceux qui travaillent aux champs. Ce vieux nègre qui va chaque jour chercher l’herbe pour les chevaux est un grand curandero, et il y a plus de trente ans que je l’ai vu pour la première fois jouer