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lèvres. Cette source tarie, et elle le fut en quelques secondes, il en fit jaillir une seconde, puis une troisième en entaillant deux autres nœuds ; après quoi il attaqua de la même manière une nouvelle tige et obtint le même résultat. Bref, nous bûmes tous ainsi successivement, et nous ne cessâmes de frapper les bambous que lorsque notre soif fut satisfaite.

Quoique l’eau fût en général limpide, fraîche, et sans aucun mauvais goût, cette manière de se désaltérer me parut une des moins agréables : la précipitation ôtait la moitié du plaisir ; puis il fallait quelque adresse pour recueillir le liquide, qui s’échappait en pure perte, si on n’approchait pas assez la bouche, et cessait entièrement de couler, si on bouchait l’ouverture de manière à empêcher l’entrée de l’air.

Il n’y avait pas d’eau dans tous les bambous d’une même gerbe ; et lorsque j’en voulus ouvrir à mon tour, la plupart de ceux auxquels je m’attaquai, se trouvèrent vides. Pour mes guides, ils ne se trompaient pas de même, et il était rare que la tige qu’ils entamaient ne contînt plus ou moins de liquide ; seulement, dans certains cas, ce liquide n’était pas propre à être bu, et avait une saveur amère, styptique, tout-à-fait comparable à celle de l’encre. Alors, au lieu d’être incolore, il présentait une teinte opaline ou même un aspect tout-à-fait laiteux ; d’ailleurs il n’avait rien de cette odeur désagréable que prend l’eau conservée trop long-temps dans des vases de bois.

La quantité d’eau contenue dans chaque entre-nœud variait suivant l’âge de la tige, sa grosseur, la hauteur du nœud au-dessus des racines, et suivant d’autres circonstances que mes guides semblaient connaître, mais que je ne pus bien apprécier. Dans les cas les plus favorables, il m’a semblé que la quantité de liquide était de quatre à six onces.

L’eau des bambous offrit souvent aux soldats espagnols une ressource précieuse, et qu’ils apprirent promptement à connaître. Ainsi, dans la conquête du Pérou, elle fut le salut d’un corps d’armée de cinq cents hommes que Pedro de Alvarado conduisait par terre, de Puerto-Viejo à Quito. Dans le chemin l’armée éprouva des misères de toute espèce, mais ce fut de la soif qu’elle eut le plus à souffrir. « Le manque d’eau, dit Zarate, liv. 2, chap. x,